Construction d’un temps non-linéaire

Le New Age des acteurs ne prétend pas inventer de nouvelle ère, ni retourner en arrière, mais plutôt emmêler à loisir la trame des temps passés et présents pour en arriver à une construction résolument post-moderne, véritable patchwork temporel. Dans ce processus, le temps présent demeure central puisqu’il est le lieu de construction de la nouvelle temporalité. La chronologie linéaire est remplacée par une vision cyclique, qui permet la fluidité du cours du temps, des circulations, véritables « voyages dans le temps » ou même « voyages du temps ». Par le biais de processus magiques ou psychologiques, il s’écoule dans un sens différent de celui auquel nous sommes habitués. Il y a toutefois rupture avec la rationalisation, qui distingue cette distorsion post-moderne de la science-fiction classique : le New Age fait ici l’aveu de la limite de l’entendement humain. S’il peut, par sa volonté ou par sa motivation, générer de tels processus, l’homme ne peut cependant pas les comprendre. Z. Schachter-Shalomi et R. S. Miller donnent un exemple de l’élasticité du temps :

‘What frees us from the tyranny of the past is the understanding that time is stretchable, not linear, so we can reframe and reshape it using contemplative techniques. If we think that time is linear, an event happens only once, the outcome is irreversible, and there's no way to reenter it with awareness for the purpose of repairing it. But spiritual insight reveals that time is multidirectional. Because it interpenetrates past, present, and future, we can reach back into the past and repair events and relationships that we perceive as failures or disappointments. 620

Certaines œuvres de science-fiction décrivent la course du temps selon des schémas imaginatifs, sous forme de spirale, de figures tri- ou quadri-dimensionnelles, qui permettent une circulation différente du déroulement ordinaire dont nous sommes habituellement captifs, et qui renoue avec une longue tradition de l’iconologie. Ainsi, dans The Return of Merlin, D. Chopra décrit la temporalité selon le schéma d’une fleur :

‘A small ladybug was crawling from the yellow center of the daisy up one petal. “Imagine the perspective of that creature. It sees a broad white petal ahead of it, and seeing only that, it travels in a straight line from one end to the other. It moves on a very narrow path, yet that’s its vision of the whole flower.’ ‘“People live their lives in the same way, along a narrow path from past to present to future. When they get to the end of their little petal, they die. But as wizards, we see the whole flower. It has many petals that coexist at once, and we can choose which one to travel. How can we do so? Because we know the truth – that we are existing in all times at once. […] No one is just here. The straight, narrow lines of time are actually threads of a web that extends into eternity.” 621

Toutefois, il est central de garder à l’esprit que dans le New Age, les romans et œuvres de fiction prétendent offrir une vérité tout aussi valide que celle du quotidien. Le roman de D. Chopra est d’ailleurs suivi d’un ouvrage didactique, The Way of the Wizard, qui a pour objectif d’expliquer les enseignements illustrés dans la fiction. Cette conception du temps comme mobile et multidimensionnel, se prêtant à modification par l’action de la volonté humaine, qui peut par exemple ordonner la suspension du temps.

Dans ce processus de « bricolage » (c’est-à-dire, une construction personnelle, avec les moyens du bord, et qui ne correspond pas nécessairement aux exigences et aux standards de construction) et de recombinaisons de la temporalité, le New Age invente une nouvelle place à la notion de tradition. Les New Agers considèrent que la tradition est à la fois dépourvue de crédibilité, anachronique, et incompatible avec la période contemporaine, laquelle est donc associée avec le processus de dé-traditionalisation. S’appuyant sur cette conception, P. Heelas (in Flanagan) questionne le lien entre New Age et postmodernité, dans la mesure où, comme nous l’avons vu plus haut, le New Age provoque une re-valorisation de la tradition. Mais ne faudrait-il pas également questionner le lien entre postmodernité et post-tradition ? Le New Age, forme post-moderne par excellence, nous informe sur la nature même de la post-modernité. Il ne s’agit pas d’un retour à la tradition, mais de la création d’une nouvelle forme de tradition. K. Flanagan propose une interprétation similaire :

‘Initially, postmodernity might seem to confirm the destruction of traditional forms of religious belief. But the definiteness of the postsecular agenda implicit in postmodernity seems at odds with its claim that all narratives had collapsed. Postmodernity lacks the authoritative capacity so to rule on the basis of reason. A pluralism and heresy now afflict postEnlightenment culture itself, where no means of transcending judgement are possible. The destructive forces of secularity which slew religion and whichcharacterised modernity, in postmodernity have been turned inward in an implosion of images and opportunities for self‑actualisation.’ ‘The indefiniteness of postmodernity, and the endless non‑judgemental contextualisation it permits, suggest endless analytical opportunities where nothing is to be excluded, even religious belief in its most traditional forms. 622

Notes
620.

Z. Schachter-Shalomi et R. S. Miller, From Age-ing to Sage-ing, p. 93.

621.

D. Chopra, The Return of Merlin, p. 209.

622.

K. Flanagan, P. Jupp, Postmodernity, Sociology and Religion, p. 4.