Dans ce contexte, la construction spirituelle de l’identité vient à puiser dans un réservoir plus ou moins « universel » de sens, de symboles et de narrations. L’emprunt culturel aux mythes et symboles de provenances diverses (cinq continents) finit pourtant par mettre en avant toujours les mêmes produits, selon un rythme qui n’est pas sans rappeler les « tendances » de la mode. D. Hervieu-Léger reprend d’ailleurs le parallèle entre spiritualité et consommation (développé par plusieurs sociologues dans les années 1970, cf. également supra, Chapitre VI. A. 2.), elle identifie la même double logique d’uniformisation et de différenciation :
‘La libéralisation du marché des biens symboliques, sur lequel les grands opérateurs institutionnels ne sont plus désormais seuls maîtres du jeu, induit aussi, paradoxalement, une tendance à l’homogénéisation de ces petits systèmes croyants. Celle‑ci rend possible, dans un contexte de globalisation culturelle générale, leur mise en réseau à l'échelle planétaire. Cette propension à l’uniformisation ne contredit pas la tendance à l’individualisation. Elle répond très précisément aux jeux d'une économie symbolique de plus en plus alignée sur les règles générales du marché. L’idée selon laquelle la scène spirituelle contemporaine peut être décrite comme un marché sur lequel se pressent des entrepreneurs placés en situation de concurrence est une idée familière aux sociologues des religions depuis une bonne trentaine d'années. […] Dans [un] article [publié au début des années 70 par P. Berger et T. Luckmann] qui traitait des implications du pluralisme caractéristique des sociétés démocratiques dans la sphère religieuse de ces mêmes sociétés, cette évocation du « marché » demeurait néanmoins assez évasive : la référence au marché permettait de souligner la pluralité des entrepreneurs religieux, mais elle n’engageait que de façon métaphorique la question de la nature des produits offerts et acquis, et celle des modalités concrètes de l’échange. Il semble bien qu’il soit possible, trente ans plus tard, d’entendre la référence aux lois du marché dans un sens beaucoup plus littéral. Car ces lois du marché développent aujourd'hui des effets qui peuvent être concrètement évalués, en matière de production et de consommation des biens spirituels. 629 ’Le nécessaire discours d’universalisme si omniprésent dans le New Age a donc pour fonction de rassurer l’individu sur le bien-fondé des réponses qu’il trouve et des chemins qu’il emprunte, face à la solitude et à la responsabilité qui lui incombe dans le choix de sa religiosité. Un double mécanisme d’universalisation et de singularisation est à l’œuvre, comme c’est le cas dans les schémas de consommation post-modernes (si bien reconnus et utilisés par la publicité notamment) :
‘ L'évocation récurrente de la convergence des différentes quêtes spirituelles individualisées (sur le mode : « Nous disons et cherchons tous la même chose » ; « Nous déclinons les différents aspects d'une même vérité », etc.) permet de valider un « croire commun » dont le contenu propre s'amenuise en même temps qu'il s'étaye des bénéfices personnels singuliers que chacun est supposé en retirer.’ ‘C'est en ce point précis que s'articule la standardisation des produits spirituels comme procédé de production et le jeu de la différenciation marginale qui constitue son pendant; en tant que procédé de consommation. Au moment même où tous les produits offerts à l'échange s'alignent sur un petit nombre de standards communs, il faut que l'individu consommateur de ces biens puisse y trouver la réponse à des attentes personnelles, reconnues comme telles dans leur irréductible singularité. 630 ’D. Hervieu-Léger, La Religion en miettes, p. 131.
Ibid., pp. 133-134.