3. Les aspects sociaux, spirituels et culturels

La postmodernité correspond également à un retour au premier plan du culturel, dans les faits, mais surtout dans la thématisation du culturel, sa définition même. La modernité s’intéressait principalement aux aspects économiques et scientifiques, mais la fin du XXème siècle voit la ré-émergeance du culturel, notamment les aspects sociaux, spirituels et identitaires. L’importance de la « guerre médiatique » qui accompagne et précède les prises de positions des pays développés montre que la légitimité est avant tout une question d’opinion publique. La deuxième moitié du XXème siècle voit également un mouvement de mondialisation qui passe par la constitution d’organisations internationales au service d’idéaux tels les droits de l’homme, les droits de l’enfant, la justice. Les décisions des tribunaux internationaux, les enjeux culturels de la notion de « crime contre l’humanité », l’institution du Prix Nobel de la Paix, autant d’aspects de la mondialisation qui affirment un retour du symbolique.

Dans le domaine religieux, cette re-valorisation de l’aspect culturel permet de se détacher de l’interprétation fonctionnaliste du phénomène religieux. La sociologie de la religion se recentre donc sur les aspects intrinsèques, c’est-à-dire théologiques et culturels. A l’étude des relations que tout système spirituel entretient avec le système économique, social et politique, s’ajoutent les relations à la culture populaire, aux schémas de migrations, et aux processus de métissage culturel, du syncrétisme à l’assimilation :

‘Linked with this is a broader trend within sociology towards cultural analysis. So, far from seeing cultural processes as some kind of epiphenomena of supposedly deeper social‑economic processes, the postmodern turn in social thought highlights the role of culture in social reproduction. While style, fashion, architecture, music, literature and especially television feature within this shift, ‘religious’ matters are no less under scrutiny in fresh ways. This now derives as much from an interest in popular culture as in the more conventional history of ideas approach that has often predominated within sociologies of religion, and especially of secularisation. This move could well encourage ‘bottom up’ rather than ‘top down’ analyses of contemporary religion. 647

Le New Age participe de cette revalorisation du culturel. Il manifeste de l’intérêt pour le folklorique, place la quête identitaire, reformulée, au centre des préoccupations, et revendique l’importance des questions existentielles (qui s’étaient pourtant trouvées reléguées à l’arrière-plan dans la marche de la modernité et de la sécularisation concomitante). Enfin, au niveau structurel, le New Age est une forme hybride : ce n’est ni vraiment une religion, ni seulement un élément de culture populaire, ou un loisir. Objet composite, et en cela résolument post-moderne, puisqu’un tel métissage se construit à partir d’un relativisme culturel qui place au même plan les différents emprunts :

‘[P]eople remain far less awestruck with certain lifestyles and cultural forms than previous generations. They can as easily engage in ballet, opera, rock music and "Californian sports", treating none of these as the culture, each being an activity to be sampled ‑ albeit in an apparently “depthless”, pastiche, manner. 648

Le New Age, forme hybride du religieux et du culturel, organise le retour du culturel et du religieux comme préoccupation légitime, notamment parce qu’il se situe (ou aide à se situer) dans la construction de l’identité.

Dans cette dynamique identitaire, la post-modernité (re-) valorise la narration, souvent biographique ou auto-biographique (produit individuel détaché de la notion de vérité), qui permet de s’extraire du débat sur l’autorité de la tradition. Ce type de petit récit replace l’homme, le sujet, au centre de l’histoire, des traditions, des mythes ou des contes, et donc restitue une validité, ne serait-ce que personnelle, à ces discours. Les NMS sont structurés par des narrations biographiques, et en cela la parenté avec le New Age et surtout la spiritualité, devient plus évidente :

‘Social movements, I will argue, are constituted by the stories people tell to themselves and to one another. They reflect the deepest ways in which people understand who they are and to whom they are connected. Whatever they are, and whatever historical sources of their development, they are constructed from the interweaving of personal and social biographies-- from the narratives people rehearse to themselves about the nature of their lives. One unhappy consequence of this for practice, however, is that social movements are not now and were never as subject to direction and control as most of the discourses concerned with them once assumed. 649

Dans le contexte religieux contemporain, l’appartenance à un groupe ou un mouvement se définit par la reconstruction et l’appropriation d’une tradition, c’est-à-dire d’un discours partagé sur une généalogie de croyance. D. Hervieu-Léger parle de « petits récits croyants » 650 dans une dynamique de construction d’une mémoire personnelle qui se situe dans une mémoire collective.

Dans le New Age le retour de la narration s’exprime de manière plus affirmée encore par l’importance de l’oralité, dans le cadre de l’attrait pour les civilisations primitives (celtisme, mais aussi contemporaines), de la transmission des « mystères » et du secret, comme par exemple de la sorcellerie, et aussi à la lumière du parallèle que fait L. Shlain entre avènement de l’alphabet et destitution de la Déesse 651 .

Notes
647.

D. Lyon, “Religion and the Postmodern”, p. 21.

648.

P. Heelas, “De‑traditionalisation of Religion and Self”, p. 65.

649.

J. Kling, “Narratives of Possibility: Social Movements, Collective Stories, and the Dilemmas of Practice”, New Social Movement and Community Organizing Conference, University of Washington, 1995.

650.

D. Hervieu-Léger, La Religion en miettes, p. 75.

651.

L. Shlain, The Alphabet versus the Goddess.