L’ère de la peur

Dans ce contexte de ré-émergeance du culturel, les émotions et attitudes mentales prennent une nouvelle importance. Or, la post-modernité est en particulier une ère de la peur. L’évolution du monde, dans le domaine des sciences (perte de contrôle sur les découvertes, intelligence artificielle ou énergie atomique), de l’environnement (état de la couche d’ozone, réchauffement de la planète, marées noires…), de la médecine (épidémie de SIDA, augmentation du nombre de cancers), et de la politique (conflits toujours plus sanglants) génère un sentiment d’impuissance et d’angoisse. Si la peur n’était pas absente dans la modernité, elle se situait cependant au niveau individuel, accidentel, et marquait le retard de la science. La caractéristique de la période contemporaine, est la notion de risque, non plus occasionnel, mais permanent et inévitable, qui ne provient plus de l’ignorance ou des erreurs de la technologie, mais de l’avancée inéluctable de la science liée à l’industrie. Quand dans la modernité le risque était lié à l’accident de travail ou à la maladie, la science et la médecine offraient une promesse de solution. Dans la post-modernité, c’est la science elle-même qui créé le risque. Dans Risk Society : Towards a New Modernity, U. Beck affirme que le nouveau type de danger provoque de nouvelles communautés menacées et en conséquence de nouvelles alliances politiques :

‘Beck emphasises that the scope and intensity of the risks systematically produced in industrial society are so great that ‘a new type of community of the endangered’ comes into being. This new community cuts across boundaries of social class, gender, generation, ethnicity or nationality. It supposedly gives rise to a solidarity of self‑conscious victims on an increasingly global scale. It may even generate a ‘solidarity of living things’ that would ‘undermine the dualism of body and spirit, or nature and humankind’. Beck can therefore be said to advance a religious or at least spiritual argument about the emergence of a new collective consciousness of what Paul Tillich called ‘the felt whole’. […]’ ‘According to Beck, conventional politics are not the appropriate vehicle for conveying this new self‑reflexive criticism of modernisation because the imperative of economic growth has already corrupted political parties, legislatures and states. The new twist of critical reason is to bypass mainstream politics and to repoliticise society by operating through subpolitical channels such as citizens’ initiatives and new social movements. But, again, this does not represent a break with modernity. In fact, Beck claims that these developments are merely the ‘amplification’ of processes set in train when basic political rights were in principle granted to all people in liberal democracies but actually diverted into liberal and socialist party systems. 652

Le point commun de ces nouveaux schémas explicatifs, et de nouveaux schémas de lutte, est qu’ils se fédèrent et se structurent autour de la peur. Pour les principaux auteurs du New Age, c’est la peur qu’il faut combattre, et non les sources de cette peur, comme l’expriment A Course in Miracles et M. Ferguson :

‘The correction of fear is your responsibility. When you ask for release from fear, you are implying that it is not. You should ask, instead, for help in the conditions that have brought the fear about. These conditions always entail a willingness to be separate. 653 ’ ‘The most subtle discovery is the transformation of fear. Fear has been our prison: fear of self, fear of loss, fear of fear. 654

L’avènement de la postmodernité et le « retour » du religieux interrogent la sociologie. La nouvelle attitude des chercheurs consiste à ne plus cantonner la religion à son interprétation fonctionnaliste, c’est-à-dire à ses implications dans le monde social. Cependant, si le terrain du débat n’est plus d’ordre social, que l’étude de la culture et des problèmes identitaires relève plutôt de l’anthropologie ou de la socio-anthropologie, peut-on, et doit-on, pour autant, rentrer dans des considérations théologiques ?

‘Of course, recognition of a social role for religion could be viewed in a positive light, in that a window is opened for dialogue about the actual part that religion might be playing in a postmodern context. […] The collapse of the dogmatic secularisation thesis, the new appreciation of the cultural sphere, the need to deal theoretically with New Religious Movements and fundamentalisms: these all seem to call for a more basic recalibration of religion in social thought than a response that merely falls back on a semi‑functionalist argument about religious revival as a symptom of the late modern malaise of relativist doubt or ethical aporia. 655

En tant que mouvement créatif et novateur, le New Age participe d’une construction identitaire, par une recomposition qui fonctionne par emprunts et assemblages. D’une part, il puise dans un discours pré-moderne, nostalgique et anti-historique, et d’autre part il fonctionne selon une organisation post-moderne. Nous constatons un double mouvement de personnalisation et d’homogénéisation, qui souligne l’aspect commercial du New Age, en ce qu’il est le signe de la consommation de masse. Ainsi, la nouvelle conscience est à la fois le fruit et un élément déclencheur de la post-modernité, et son apparition coïncide avec l’avènement de certaines des préoccupations essentielles contemporaines (environnement, limites éthiques à poser à la science, etc.).

La forme créative du New Age est donc d’ordre post-moderne ; les aspects anti-modernes et modernes sont plus liés à des pratiques qui se situent à mi-chemin entre une conception du monde laïque et séculière, tournée vers le futur ou vers le passé, et la spiritualité alternative. Ces dernières directions conviennent notamment à des personnes dont le degré d’implication limité (utilisateurs et consommateurs du New Age) ne permet pas une compréhension profonde du mouvement. Cependant, l’ouverture et la tolérance du New Age permettent à ces différentes orientations de co-exister, et ce d’autant plus que les participants les plus engagés adhèrent à une vision dont la principale caractéristique est une pratique combinatoire.

Notes
652.

J. Beckford, “Postmodernity, High Modernity and New Modernity”, p. 39.

653.

A Course in Miracles, p. 24.

654.

M. Ferguson, The Auquarian Conspiracy, p. 115.

655.

D. Lyon, “Religion and the Postmodern” p. 22.