Dans le New Age, les attitudes moins novatrices ou créatrices par rapport à la Nature sont celles des consommateurs et des utilisateurs. De tels comportements ne sont pas spécifiques au New Age. En cela, les questions liées à l’environnement constituent l’un des principaux points de rencontre entre la nouvelle conscience et la post-modernité.
Face à la perception de la crise mondiale de l’environnement, le New Age propose des solutions qui vont de l’indifférence au radicalisme, qui s’exprime parfois au sein de groupes américains comme Earth First!, le Sea Shepherd Conservation Society, le American Animal Liberation Front (ALF) et People for the Ethical Treatment of Animals (PETA). Dans le radicalisme, le problème environnemental appelle des actions urgentes et engagées, sur un mode intellectuel et rationnel, et relativement politisé. Ce mode d’action contraste avec la nouvelle conscience : alors que le New Age dans son ensemble traite l’écologie sur un mode émotionnel, spirituel et enchanté, les radicaux sont plus à même de prendre conscience de leur propre rôle dans certains schémas sociaux ou structurels qui entretiennent la spirale de consommation, surproduction, et pollution. Ils considèrent également la dimension socio-culturelle des phénomènes critiqués.
L’interprétation de l’évolution du monde fait ressortir le pouvoir sans cesse croissant de l’homme, au point que la survie de la planète est aujourd’hui littéralement entre les mains de certains hommes. Le transfert de ce pouvoir apocalyptique, antérieurement réservé aux divinités ou à la nature elle-même, est source d’angoisse profonde. Et ce, d’autant plus que l’examen de l’histoire des relations qu’entretiennent les humains avec leur environnement social et naturel, incite à une méfiance profonde envers les capacités de l’homme à faire preuve de sagesse et de modération. Les écologistes radicaux considèrent également la montée du pouvoir des machines et leur invasion des espaces naturels, humains, et sociaux. La peur, inspirée des scénarios de science-fiction, d’une prise de pouvoir par les machines permet également de rejeter la responsabilité du destin du monde. En cela, le radicalisme écologiste rejoint certaines conceptions du New Age - outil qui adoptent une théorie du complot.
Au-delà d’une prise de conscience politique commune aux activistes, quel que soit leur mode d’action, les écologistes radicaux partagent ainsi une vision du monde hautement symbolique et polarisée. Leur analyse de la situation est d’ordre apocalyptique : pessimiste, morale, et cataclysmique. Historiquement, les mouvements apocalyptiques rencontrent généralement plus de succès auprès des populations défavorisées, marginales, en quête de reconnaissance et de pouvoir. Ainsi le pôle radical du New Age recrute plus parmi les utilisateurs. Lee mentionne d’ailleurs que les activistes de Earth First! (l’un des principaux mouvements écologistes radicaux, proche du New Age) disposent de peu de moyens économiques. 679 La vision apocalyptique permet d’acquérir pouvoir et reconnaissance (virtuellement, ou plutôt fantasmatiquement), par l’appartenance à un groupe marginal et solidaire, privilégié en ce qu’il est seul conscient de l’imminence de la catastrophe, et par conséquent le plus naturellement désigné à survivre.
Le radicalisme se justifie tout d’abord par ce que M. Lee nomme « urgency of a belief in an imminent apocalypse » 680 . La vision apocalyptique relève d’un pessimisme fondamental et profond, en cela les actions entreprises ne sont pas nécessairement investies d’espoir de réussite mais plutôt du poids d’un devoir moral, d’une cause perdue d’avance mais néanmoins justifiant la mobilisation de toutes les forces existantes. Ensuite, l’action des organisations traditionnelles est critiquée comme tiède, insuffisante, et largement complaisante.
‘Like the radical environmentalists who followed them, Greenpeace's founders came together because they were frustrated by the moderate tactics and goals of mainstream environmental organizations; in particular, they were angered by the Sierra Club, which refused to protest against nuclear weapons testing. As a result, they decided to act against such tests themselves. 681 ’Dans le développement de tout mouvement, le radicalisme n’est possible que dans la marginalité, et doit s’effacer lorsque le mouvement atteint des proportions plus importantes. Même Greenpeace, mouvement qui était radical à l’origine, s’est corrompu, et ce en raison de sa taille, ses modes d’action (politique), et sa structure interne (hiérarchique).
‘[Greenpeace is involved] now in lobbying and press conferences more often than in environmental campaigns, a transformation which has left it open to criticism by more radical environmental groups. Indeed, members of such groups consistently deride Greenpeace as "an empire‑building fund‑raising establishment" whose primary goal has become gaining credibility among lawmakers, not preserving the environment. 682 ’Les groupes de ce type sont en effet radicaux, à la fois sur le plan thématique et politique ; leurs fins comme leurs moyens sont sous-tendus par des logiques « ultimes », « finales » et absolues. D’une part, leur cause, la survie de la planète, conditionne tout. Si la dégradation du milieu rend impossible la vie sur terre, il n’y a plus de réflexion et, a fortiori, d’engagement politique possible. D’autre part, leurs doctrines et tactiques sont extrêmes. L’action directe, au mépris de la propriété privée, caractérise les mouvements radicaux dans le contexte américain. L’urgence de la situation, l’impossibilité d’arriver à un résultat quelconque par le biais de la persuasion, l’importance suprême de la préservation de la planète, et la clarté de la distinction morale entre le bien et le mal, permettent de justifier ce type d’actions, et même de les encourager. Plusieurs mouvements en viennent en effet à prôner l’éco-terrorisme, par le biais d’actions de sabotage.
Les pratiques éco-terroristes confèrent également un sentiment de puissance, d’impunité, et de pouvoir personnel. Le principe même du sabotage, qui consiste à infliger un maximum de dégâts avec un minimum de moyens (y compris humains) participe de ce sentiment de toute-puissance que ressentent les saboteurs. De plus, ces actions sont mises en valeur de manière subtile dans le groupe. Dans un contexte global de subversion, l’éco-sabotage est source de reconnaissance, et se justifie dans un discours qui dénonce le complot des pouvoirs en place. Les consignes données aux saboteurs mentionnent spécifiquement : 1) le plus de dégâts avec le moins de moyens, 2) ne pas être pris. On a là une logique individualiste associée au sentiment d’impunité, le tout permis par une compréhension au sein de la communauté et une solidarité invisible. L’aspect ludique de telles pratiques n’est pas à négliger. Au sein d’Earth First! les lettres d’informations permettent de véhiculer l’idéologie sous-jacente, comme le note M. Lee :
‘The August 1981 issue of the newsletter concluded with the announcement of an “Ecotricks” contest, a competition intended to inspire the newsletter's readers in their defense of the earth. An “ecotrick” was defined as “any nonconventional means employed to protect the Earth Mother. It implies the use of superior wit and cunning in a form psycho/political judo to render our/her opponents impotent ... hopefully in the bedroom as well as in the arena of contest.” The newsletter provided only one guideline. The ecotrick “should not be too fellonious [sic] I because we need you out there being active.” Although EarthFirst!ers had several times publicly declared that monkeywrenching was amongtheir repertoire of tactics, no explicit discussion of its specificshad yet appeared in the Newsletter. Its appearance at this time reflects it not only the growing confidence of the movement and its leadership but also, the recognition that open discussion of monkeywrenching might itself be a valuable tactic. 683 ’Le poids symbolique du droit que s’accordent les mouvements d’exposer ouvertement leurs objectifs et stratégies, est d’autant moins négligeable que le sabotage envisagé est mûrement réfléchi. Il se structure, non pas sur le mode désorganisé du vandalisme, mais de manière stratégique, dans une logique de guerre où l’objectif est d’infliger des pertes maximales à l’ennemi. Foreman, l’un des porte-paroles de Earth-First!, affirme que les actions se doivent d’être « nonviolent, targeted, dispersed, and elegantly simple. » 684
Les revendications et prescriptions pour l’avenir sont plus intuitives (de l’ordre de la réaction) que rationnelles et constructives. Extrémistes et impossibles à réaliser, elles trahissent la volonté de retour en arrière :
‘The end of civilization could only be prevented by a complete change in government, industry, and cultural values. At the minimum there would need to be an immediate halt to industry, a ban on the use of automobiles, elimination of range cattle, and the restoration of major wilderness areas. The sweeping nature of these changes, however, rendered them impossible. The government, industry, and even conservation groups were unwilling to initiate the necessary restrictions. 685 ’Malgré les divergences fondamentales de mode d’action et de tolérance, l’écologie radicale partage avec le New Age, au niveau conceptuel, une vision du monde spirituelle et morale qui place la terre au centre des préoccupations, et au niveau pratique, une structure non-hiérarchique (motivée autant d’un point de vue philosophique que stratégique). De plus, la contiguïté des deux mouvements permet une certaine fluidité, les membres de l’un ou l’autre des mouvements faisant souvent état d’intérêts croisés et d’un double investissement.
M. Lee, Earth First!, p. 9.
Ibid., p. 40.
M. Lee, Earth First!, p. 8
Ibid., p. 9
M. Lee, Earth First!, p. 53
Ibid., p. 54
Ibid., p. 40