Le New Age « produit » et les mouvements écologistes

Les consommateurs – population New Age qui comporte une forte proportion de personnes âgées, et dont l’approche est globalement moins novatrice – ont une perception du monde marquée par le dualisme, liée à une nostalgie de l’âge d’or. Quand ils s’impliquent au niveau politique, le font rarement dans des mouvements radicaux. Ils auront ainsi tendance à s’investir dans des mouvements écologistes traditionnels, ou dans des actes de « guérison de la planète ». Les mouvements écologistes traditionnels dépendent souvent de dons de particuliers et de participations financières de la part de leurs adhérents, sous forme de souscription à des magazines ou de cotisation annuelle. Ce type de participation correspond aux capacités d’action d’une population aisée et disposant parfois de peu de temps (cadres supérieurs), parfois de peu d’énergie physique et/ou de goût du risque (personnes âgées). La relation au New Age et aux thématiques écologistes est celle du consommateur à un produit.

Comme nous l’avons déjà mentionné plus haut, (cf. supra, Chapitre VIII.A.2.), les personnes âgées dans le New Age ont conscience d’un lien qui les relie à la nature, puisqu’elles représentent une continuité entre pré-modernité rurale et « naturelle », et la période contemporaine. Dans la perspective écologique, paradoxalement les anciens – logiquement plus tournés vers le passé que vers l’avenir – sont plus à même de développer une vision à long terme, de s’extraire de la temporalité et de l’absorption dans le présent pour considérer l’évolution de la planète en termes de générations :

‘With this shift in awareness, we can more easily grasp in our guts that plundering the Earth of its precious resources and mortgaging our children's futures for short‑term profit are clearly devolutionary. Taking the long view redirects our values away from our current shortsighted and mistaken materialism. It also gives us the wisdom and inspiration to begin the reclamation of our endangered planet.’ ‘Because elders have “graduated” from the concerns of family and career, they are eminently qualified to serve as caretakers of the environment, 687 according to Brooke Medicine Eagle, a healer and teacher of Crow‑Lakota descent. In assuming their special vocation, seniors in the dominant society can draw upon the example of Native American tribal elders, known as wisdomkeepers because of their connectedness to Spirit and the natural world. 688

Les consommateurs de New Age peuvent aussi être des « guérisseurs de Gaïa », partant du principe qu’il faut participer au retour de l’harmonie perdue. L’état de tension, de désunion, de conflit, peut être résolu, l’âge d’or peut être restauré par le biais de pratiques magiques, incantatoires et célébrationnelles, tirées de l’enseignement des rares peuples qui aient gardé intact cet état d’harmonie entre l’homme et la nature. La magie restauratrice est l’un des types les plus répandus (rétablir la pureté originelle d’une histoire d’amour menacée par une ingérence extérieure, par exemple). En cela, les consommateurs se détachent de la vision judéo-chrétienne, où la déchéance serait conséquence d’une faute interne et intériorisée. Ici, l’élément perturbateur est extérieur : la technologie, la science, toutes choses que l’individu parvient toujours à situer dans une périphérie. G. Rossi souligne l’omniprésence de la thématique du retour, en dépit de son absurdité scientifique et environnementale :

‘Les écosystèmes sont l’objet de perpétuelles transformations. Vouloir les figer dans leur état actuel ou vouloir retourner aux situations passées ne sont que des utopies. L’élimination de l’homme ne pourra en aucun cas permettre un retour à des situations antérieures dont nous ignorons d’ailleurs à peu près tout ; elle suscitera simplement un écosystème différent. Pourtant, le thème du « retour » est récurrent chez les écologistes et dans beaucoup de publications scientifiques. 689

Dans le domaine environnemental plus que tout autre, le New Age est proche du courant majoritaire (« mainstream »). En effet, l’écologie dans son ensemble demeure une préoccupation alternative. La relation ambiguë des religions de la nature avec la notion d’américanité joue aussi de ce double positionnement : intégré dans une tradition contestataire américaine, qui s’appuie sur des concepts tels que l’individualisme, l’anti-institutionnalisme, ou le libertarisme, l’écologie New Age peut ainsi dénoncer les dérives que l’appareil technologique et moderne génère. Si les New Agers consommateurs et les utilisateurs s’investissent dans des pratiques opposées, ils n’en demeurent pas moins attachés à une conception classique du rôle de l’Etat et de la forme de contestation politique.

Notes
687.

Point important pour le militantisme en général.

688.

Z. Schachter-Shalomi, R. Miller, From Age-ing to Sage-ing, p. 141.

689.

G. Rossi, L’Ingérence écologique: Environnement et développement rural du Nord au Sud, 2000, p. 22.