L’opposition Nature/Culture, pour cette catégorie des acteurs du New Age, n’est pas pertinente. En effet, la frontière est floue entre la « nature originelle » (en tant qu’idéal, que concept imaginaire) et la culture primitive. Les cultures primitives non seulement n’entrent pas en conflit ou en concurrence (relation de domination) avec la nature ; mais elles permettent en plus de mettre en valeur et de glorifier le lien unique et indéfectible de l’homme à la nature nourricière. Ainsi, comme le note G. St John : « the sociality of the landscape is magnified as it is perceived to have been occupied. » 690 Rappelons également que la notion de « nature sauvage » (« wilderness ») est, à l’ère coloniale, inclusive de l’homme primitif qui lui appartient au même titre que les bêtes sauvages. Dans les premiers parcs nationaux sont d’ailleurs embauchés des figurants amérindiens. Cette définition première d’une nature dont la virginité n’est pas troublée par la présence des autochtones, la rend disponible pour d’autres utilisations. Au cours des siècles, l’homme sauvage, devenu « primitif », s’humanise, et s’extrait de la nature.
Dans le New Age, l’homme primitif est réintégré dans la nature. Cette relation permet de mettre en valeur :
- le rôle maternel nourricier et protecteur de la nature envers l’homme ;
- l’harmonie possible entre l’humain et les autres règnes (minéral, végétal, et animal) ;
- le respect possible de l’équilibre du vivant par l’homme qui s’intègre au cycle de la vie.
La compréhension de cette relation permet à l’homme de s’éveiller au sacré. Pour les cultures primitives chaque élément naturel est sacré, les animaux, les végétaux, les minéraux, les éléments, les lieux, le cosmos ; d’autre part chaque aspect du sacré est illustré et représenté par un élément naturel. Ainsi, dans une perception anthropocentrique, l’homme primitif permet d’actualiser le potentiel de la nature.
Par ailleurs, la notion de nature vierge, glorifiée dans sa pureté (antérieure à tout contact humain), sa « sauvagerie » (« wilderness »), pose problème. Sous l’emprise des diverses civilisations sur tous les continents, ainsi que l’influence de l’industrialisation à l’échelle planétaire (effet de serre, radio-activité transportée par les vents, pluies acides, marées noires, etc.), aucun espace naturel n’est réellement intact. L’idée d’une nature vierge contemporaine n’est donc qu’un mythe. Dans le cas du continent australien, par exemple, les New Agers voient les deux logiques (nature vierge et nature primitive) s’opposer et parfois se superposer :
‘Rationales for the identification with, and defence of, landscape prove rather sophisticated, sometimes contradictory. This is the case as 'wild' landscape and 'Aboriginaland' are variously imagined and invoked. On the one hand, many eco-rads express their desire to be 'at one with the wilderness' - meaning 'pristine', 'untouched' nature. Here, 'wild' landscape is valorised - local 'wilderness' is perceived to be a place of worship, a temple, its disciples privileged to an Australian 'wilderness experience'. 'Wilderness', associated with being lost, unruly, disordered and confused, is thus a powerful source of psychic re-creation. Others, however, recognise the limitations of this ill-fated concept, a recognition matching the growing acknowledgment of prior occupation by Aborigines […]. As Rose earlier remarked (1988:384), since 'Aboriginal people were everywhere', there is no true 'untouched' or 'pristine' country in Australia […]. Today, knowledge of prior occupation and dispossession - our 'black history' - is superseding the blind invocation of 'wilderness'. This awareness confers emotive value upon a beleaguered landscape, elevating the commitment to its defence. ’ ‘Yet attachment is very personal. Terra-ists of the nineties, many ferals dwell in forested regions where, for prolonged periods, they may form affinities with native biota. Strong attachment to place arises as a result of such 'dwelling in the land', such ecological 're-centring'. 691 ’Malgré les formulations conceptuelles qui unissent l’homme à la nature en tant qu’entité impalpable, dans la pratique il est nécessaire de cultiver ce lien filial, entre autres en le visualisant. L’indigénité permet de donner forme, d’envisager sur un mode concret, la parenté. Les caractéristiques de cette relation s’expriment selon les trois axes d’une métaphore familiale : respect, harmonie, et relation nourricière.
G. St John, Alternative Cultural Heterotopia, p. 23 (chap. 7).
G. St John, Alternative Cultural Heterotopia, p. 166.