Au refus de l’action politique se substitue une action « spirituelle », de « guérison de la planète ». Ce type d’action est intimement lié au concept de Gaïa*, organisme vivant auto-régulé et avec un potentiel d’auto-guérison, menacé par une tumeur infectieuse – le progrès humain – et qui ne peut se remettre sans aide.
Pour agir il faut donc cultiver le spirituel, la guérison holistique au lieu de la médecine analytique : il ne s’agit pas d’éradiquer la maladie mais de stimuler les défenses naturelles. Pour cela, il est nécessaire d’avoir une vision du corps terrestre dans sa globalité, d’identifier l’invisible (canaux subtils d’énergie, chakras* et nadhis*), et de stimuler les points d’acupuncture ou d’énergie. La parenté entre corps planétaire et corps humain est ainsi renforcée et exploitée, consolidant le lien émotionnel et affectif de filiation. Cette thérapie de la planète et du vivant est par ailleurs perçue comme ambivalente : cultiver chez l’homme le lien physique, instinctif, la relation enfant-parent et notamment nourrisson-mère, dans des pratiques comme le « Tree-Hugging », vise autant à soigner l’homme qu’à soigner la planète. Les New Agers se sentent responsables de Gaïa, mais ils manifestent une méfiance profonde à l’égard du rationnel et de l’intellectuel. En conséquence, l’accent est mis sur l’émotionnel, dans le but de créer un lien plus nécessaire, plus profond et plus efficace.
‘Members alone or in groups are encouraged to conduct a public, outdoor ritual which has the aim of healing the earth. This takes place at a certain time on a certain day (overseas members synchronise with GMT). However, the rite is preceded by action on the physical plane. Members are encouraged to conduct rituals at sites that are under environmental threat, such as polluted beaches, and to clean up the site before their rite. Members are also encouraged to take a more long‑term environmental stance by joining environmental organisations and through lobbying Members of Parliament about local environmental issues. 709 ’Cultiver le lien est donc directement source d’un investissement dans l’action directe et politisée, dans la mesure où la filiation est vécue comme une responsabilité. Cette notion est développée par exemple au sein du Witchcraft, l’un des principaux mouvements néo-païens. Le second principe du manifeste publié par le Council of American Witches en 1974 était le suivant :
‘We recognize that our intelligence gives us a unique responsibility toward our environment. We seek to live in harmony with Nature, in ecological balance offering fulfillment to life and consciousness within an evolutionary concept.’Ce sentiment de responsabilité se double d’un impératif à nouer avec le monde physique une relation émotionnelle et irrationnelle. A cette fin, il est fait un large usage de la personnification de la planète (sous le concept de Gaïa, la Déesse, la Terre Mère, etc.…). Par exemple, dans The Spiral Dance, (ouvrage de référence pour les New Agers et les Néo-Païens), Starhawk affirme : « The model of the Goddess who is immanent in nature, fosters respect for the sacredness of all living things. » 710 Cette double action de personnification de la planète et de responsabilité de chacun conduit les membres du New Age à devenir les « guérisseurs de la Terre ». Pour certains, il s’agit d’effectuer des pèlerinages spirituels, qui consistent à réaliser cérémonies et rituels en certains points névralgiques de la planète. Le principe d’ « acupuncture planétaire », qui affirme que la présence d’âmes pures, ou de cristaux, ou de cérémonies particulières dans des « points d’énergie » spécifiques, fonctionne à la manière de l’acupuncture sur un corps, stimule les défenses naturelles et régénère l’organisme. La cartographie de ces chakras* de la terre est, à l’exemple de celle du corps, de plus en plus connue. S’y côtoient des sites d’intérêt historique (l’Egypte, les pyramides Aztèques, la Grande Muraille de Chine), des sites « mystérieux » (Stonehenge, l’île de Pâques), des lieux marqués par une activité indigène (Arizona, Australie), des sites naturels grandioses (forêt amazonienne, Grand Canyon, chutes du Niagara, Yellowstone, désert du Sahara)…
Cependant, cette personnification émotionnelle – source de superficialité structurelle et absence de vision long terme – et la logique de protection de l’environnement ne sont pas forcément ou systématiquement concomitantes. Les deux logiques en jeu dans le New Age en viennent parfois à s’affronter dans l’attitude et les actions des pèlerins spirituels :
Cependant, les expressions mêmes de leur révérence (déposer des fleurs et des objets sacrés dans les rivières, construction de barrages pour se baigner, crémation d’encens, cercles de percussions sacrées, construction de feux et d’autels dans les forêts) sont susceptibles de polluer l’environnement et de mettre en danger la faune. L’omniprésence des pèlerins dans les sites les plus visités menace l’écosystème. Le Mont Shasta, en Californie, est un site dont la popularité devient source de tensions entre la logique New Age et la logique de protection de l’environnement, comme le montre l’étude de L. Huntsinger et M. Fernandez-Gimenez. Ces deux auteurs révèlent que les pèlerins New Age, confrontés à la question de la contradiction inhérente entre dévotion et protection, ne perçoivent pas leurs actions comme hypocrites ou absurdes :
‘Spiritual pilgrims assert their claim to make use of the meadows in the ways they believe are important, despite their observations of ecological problems, their own environmental values, and the discomfort to other users that their practices can cause. Within their own belief system, this is not hypocritical. Pilgrims believe that conditions on earth will improve when balance and harmony in personal lives and in relationships with nature are achieved, so their activities are needed. 711 ’La logique New Age en jeu ici entre en concurrence directe avec la logique laïque contemporaine, qu’elle soit capitaliste ou environnementaliste. La perception « ordinaire » d’un conflit d’intérêts entre pratiques spirituelles et protection de l’environnement demeure étrangère aux pèlerins spirituels, parce que leur théologie fait appel à une causalité différente.
V. Crowley, “Wicca as Nature Religion”, p. 179.
Starhawk, The Spiral Dance.
M. Fernandez-Gimenez, L. Huntsinger, “Spiritual Pilgrims at Mount Shasta, California”, p. 6.