1. Anarchisme, radicalisme, et révolutions traditionnelles

Anarchisme

Certains aspects du New Age sont proches des courants anarchistes. En effet, les théories de l’anarchisme, telles qu’elles sont formulées par ses premiers penseurs – Bakounine, Proudhon, Sorel – puis reformulées dans les années 1970, refusent les hiérarchies et les structures, comme le New Age :

- Refus de la hiérarchie sociale et économique, considérée comme artificielle, productrice et produit de l’exploitation. Dans le New Age également, la hiérarchie est récusée, et les groupes tentent de s’organiser selon des modes alternatifs.

- Refus de la propriété privée. L’anarchisme dénonce le culte de la propriété privée comme fondement de la société et de la morale bourgeoise. Toute propriété est considérée comme illégitime en tant que fruit de l’exploitation de l’homme par l’homme. La transmission de la propriété privée par le biais de l’héritage ne sert qu’à perpétuer ces inégalités. Dans le New Age, en particulier dans les festivals, mais aussi dans ce qu’il reste des communautés, on rencontre un refus similaire du respect de la propriété privée. La nouvelle conscience s’oppose à l’accumulation de richesses comme vouée à l’échec et source d’attachements matériels. La glorification du nomadisme, parfois vécu dans les « rainbow tribes », puise dans des rhétoriques qui nient la légitimité de la possession de la terre, et par extension de toute possession matérielle. Les festivals représentent des lieux de rencontre de ces nouvelles tribus, et sont – à juste titre – perçus comme un danger pour les valeurs de l’ « establishment ». 725

- Refus des institutions (étatiques entre autres) comme aliénantes et déshumanisantes : les institutions sont artificielles et nous font oublier les vrais enjeux, qui se situent à la fois au niveau individuel et au niveau international (universel humain). Le discours anarchiste qui appelle à l’abolition des institutions pour libérer l’individu est étonnamment contemporain.

L’anarchisme oppose l’individu au « le froid déterminisme de l"économie et de la politique » 726 , et cette polarisation trouve un écho dans la relation du New Age à la modernité. Cette dernière est considérée comme privilégiant la rationalité par rapport à l’expérience, les théories scientifiques par rapport au vivant. Au contraire, le New Age s’élève contre la subjugation de l’homme par la machinerie théorique. Si le New Age tout comme l’anarchisme font le choix de l’individu, pour l’un ni pour l’autre cela ne se fait aux dépends de la collectivité. L’anarchisme résout cette tension par la notion de « spontanéité collective », que Bakounine nomme « l’organisation spontanée et absolument libre des masses délivrées » 727 . La rhétorique anarchiste met l’accent sur la liberté, l’équilibre, la spontanéité, et l’énergie individuelle.

‘La raison collective prend naissance dans les énergies individuelles libérées et dans la confrontation de ces énergies ; la spontanéité collective sera le résultat de ces affrontements et de ces tensions aboutissant à un équilibre sans cesse remis en question. La liberté de l’individu sera garantie par l’extension des opinions diverses dont aucune ne sera étouffée par une autorité supérieure. 728

C’est un lexique que l’on retrouve dans la description de l’ère du Verseau.

- Refus de la politique, inapte à provoquer les vraies transformations. L’anarchisme et la nouvelle conscience souhaitent s’extraire du débat politique, en particulier entre les différents partis. Pour le New Age, la transformation du monde passe par l’action immédiate des individus, et pour l’anarchisme, par celle des travailleurs. Le vote (action emblématique de toute la « mascarade politique ») fait le jeu de la politique, et donc cautionne le système sans espoir de le changer, comme le souligne J. Barrué :

‘Peut-on parler de liberté pour l’électeur ? Il a la liberté de choisir entre des candidats désignés par les partis à la suite de marchandages aussi sordides que secrets. […] Après le vote, l’heureux élu échappe à tout contrôle et l’électeur n’a plus qu’à attendre la prochaine représentation qui se jouera selon le même scénario.’ ‘On reproche aux anarchistes leur coupable indifférence : en ne votant pas pour le candidat de gauche le plus favorisé, ils font le jeu de la réaction […]. Nous continuons à mettre dans le même sac les sales réactionnaires et les propres progressistes. Nous savons que les réformes importantes ont toujours été la conséquence de l’action directe des travailleurs. 729

Pour atteindre un monde meilleur, donc égalitaire, l’anarchisme entend dépasser les limites des Etats-Nations, et se situer sur un plan international régi de manière spontanée. Sa vision du monde est donc utopique : « l’anarchisme, loin d’être fondé sur la violence, veut réaliser un monde d’harmonie, d’initiatives libres et de tolérance réciproque. » 730 Cependant, c’est dans les moyens qu’apparaît la première différence fondamentale entre les deux mouvements : le New Age refuse absolument la violence, il choisit l’optimisme (que l’humanité dans son ensemble recevra l’illumination), la persuasion, et l’exemple. L’anarchisme, plus pessimiste quant à la capacité naturelle de l’homme, et surtout des sociétés, à se transformer, prône l’utilisation de la violence, non pas en tant que fin, mais comme étape nécessaire de la libération :

‘Mais il est certain qu’aucune évolution indéfiniment pacifique ne conduira à la transformation radicale de la société et du régime actuel de production. Jamais la classe au pouvoir, même si elle cède sur des points de détail, ne capitulera sur les points fondamentaux. Un ultime affrontement sera nécessaire. 731

La seconde différence essentielle réside bien entendu sur le plan théologique : l’anarchisme, résolument athée, désigne en Dieu la justification suprême de toute institution et de toutes les oppressions. Cependant, le New Age définit la transcendance très différemment de la religion traditionnelle, et situe l’autorité suprême au sein de chaque individu, en sorte que celle-ci ne peut plus faire le jeu des oppresseurs et de l’exploitation. En ce qu’il confère ainsi une autorité absolue à l’individu, et qu’il fait preuve d’une confiance aveugle dans la capacité de la société à s’organiser de manière spontanée, le New Age se situe dans la lignée de l’anarchisme.

Notes
725.

G. St John, Alternative Cultural Heterotopia.

726.

J. Barrué, L'anarchisme aujourd'hui, 2000, p. 72.

727.

M. A. Bakounine, Théorie générale de la révolution, 2001, p. 361.

728.

J. Barrué, L'anarchisme aujourd'hui, p. 73.

729.

Ibid., p. 71.

730.

Ibid., p. 38.

731.

Ibid., pp. 35-36.