En réaction à la dynamique de mondialisation, les Nouveaux Mouvements Sociaux proposent une organisation plus locale, parfois appelée « glocalisation », c’est-à-dire action locale mais conception mondiale (« act local and think global »). La communauté, sous forme de groupes de voisinage (« neighborhoods ») et d’associations de terrain (« grassroots ») qui réunissent des personnes directement touchées par un problème donné. Les groupes alter-mondialistes proposent un retour à des logiques locales : systèmes de troc (pour éviter la corruption par l’argent), journaux et médias familiaux ou locaux (ère de la « newsletter », lettre d’information), auto-suffisance dans l’agriculture. Le radicalisme culturel et le refus de l’implication politique sont donc en action dans les Nouveaux Mouvements Sociaux, dans la mesure où, selon B. Epstein, « New Social Movements […], to the extent that they address issues of politics tend to associate themselves with an anarchist stance. » 743
Ces mouvements font le choix de l’alternative, parce que l’opposition au système capitaliste, fut-elle à l’échelle mondiale, n’est plus d’actualité avec l’effondrement des grands systèmes communistes. L’utopie en elle-même, valeur positive dans les années 1960, est devenue une valeur négative, remplacée par la pragmatique, y compris par rapport aux grands enjeux comme l’environnement. Le mouvement de justice environnementale exemplifie cette hésitation entre la critique et l’alternative :
‘In the context of the early nineties, with capitalism apparently triumphant around the world, talk of the potential incompatibility of environmental demands with capitalism would seem to discredit environmentalism, to move it into the realm of the impossible, the utopian. Activists sense, no doubt correctly, that this would only discredit and undermine the movement. Though the toxics/environmental justice movement is not drawn to an anti-capitalist stance (or for that matter to any stance that would appear utopian), its perspective implies a sharp criticism of the principle of the free market. 744 ’La démarche contemporaine se situe donc plus au niveau de la proposition que de la critique, et de l’alternative plutôt que du refus. L’accent est mis sur des valeurs en décalage avec la modernité : la lenteur (« slow-food »), la décroissance, l’inefficacité, l’insistance sur le particulier et non sur l’universel dans chaque culture. Mais ces mouvements ne se privent cependant pas de certains outils de la (post-) modernité (Internet par exemple), dont ils exploitent le potentiel de contre-pouvoirs. Ils reprennent certains aspects de l’activisme « classique », et notamment considèrent que le rôle du gouvernement est de protéger l’intérêt des citoyens plutôt que celui des entreprises, par l’application des lois existantes, et la législation dans les nouveaux débats. L’Etat est aujourd’hui (selon la théorie du libéralisme du XIXème siècle) plutôt considéré comme un pouvoir médiateur entre les intérêts – purement financiers – des entreprises, et l’intérêt général (en termes de santé et de cadre de vie). Si l’Etat n’est pas pour autant perçu sous un jour positif, il constitue l’un des moyens disponibles dans cette lutte, au même titre que le lobbying ou les médias. Le New Age fonctionne selon ces mêmes principes. D. J. Hess remarque ainsi que The Aquarian Conspiracy, pour radical qu’il soit dans ses thématiques et dans ses objectifs, n’en demeure pas moins dans le cadre d’une conception moderne de la politique et du rôle de l’Etat :
‘ By weaving a tapestry of scientific, psychological, political, and social revolution, Ferguson reins in her rhetoric of political change and keeps it within the boundaries of a constitutional, Lockean framework. Just as paradigm shifts within science remain within the boundaries of accepted notions of scientific methods, so reformist social and political movements remain within the accepted notions of constitutional government. Radical rhetoric notwithstanding, the political vision of The Aquarian Conspiracy remains a reformist one that lies in the mainstream of Anglo-Saxon political thought. Ferguson even defines government in the familiar terms of social contract theory as “a community of people” who decide on a set of rules not unlike the “established scientific paradigm” of normal science. 745 ’Le parallèle entre le New Age et les Nouveaux Mouvements Sociaux ne s’arrête cependant pas là : au niveau structurel également, le New Age est constitué de petits groupes, conscients de leur parenté mais ne recherchant pas de fédération formalisée et explicite. Le mouvement dans son ensemble est une réaction à ce qui est perçu comme des conditions de contrainte sociale (« shared conditions of social constraint » 746 ). Ces conditions portent sur : la restriction et/ou rupture du lien avec la nature, la diminution et la raréfaction du spirituel, la perte des valeurs essentielles.
La narration 747 joue le rôle, pour le New Age comme pour les Nouveaux Mouvements Sociaux, de cadre structurant, qui permet à la fois à l’universel et au particulier de s’exprimer (selon les régions, les cultures, et les contraintes institutionnelles spécifiques), dans une construction identitaire à la fois individuelle, locale, et mondiale.
Cette parenté structurelle se double également d’une complémentarité fonctionnelle. En effet, les Nouveau Mouvements Sociaux peuvent être perçus comme les façades institutionnalisées du New Age et des mouvements spirituels en général (éco-féminisme ou autres), notamment dans la mesure où les aspects métaphysiques (parfois fondateurs et fédérateurs) y sont laissés de côté afin d’être plus consensuels et plus présents sur la scène politique et sociale :
‘In the orbit of contemporary nature religion, ecological and feminist movements spring to mind as the most important categories of the latter. Both movements have been notably effective in translating their goals into the structures of the dominant instrumental systems; but in both cases, this has occurred largely because the movements have become partially institutionalised in such organisations as Greenpeace, green political parties, and national and international women's organisations, in all cases downplaying the overt nature‑religion component, at least in public. In other words, their relative success has depended to some degree on their becoming structured, abandoning to some extent the counterstructural form. Far from indicating the futility of nature religion as a potential force in global society, however, what this points to is how the social movement has become a vital factor in the context of global society. This is probably the prime form through which counter‑structural currents like nature religion can influence some of the directions in which the dominant systems pull us without becoming thoroughly institutionalised and especially politicised. 748 ’Parenté et complémentarité sont les deux facettes d’une proximité qui permet des influences réciproques. D’une part la nouvelle conscience insuffle une « âme » et une spiritualité aux mouvements post-modernes. D’autre part, on observe le mode d’organisation des mouvements radicaux alter-mondialistes et écologistes dans les mouvements néo-païens : l’accent est mis sur le potentiel de contre-pouvoir de la religiosité non-conventionnelle. Comme le souligne G. Samuel :
‘One of its most striking features for me is the way in which Starhawk develops the theme of anti‑structural power within witchcraft: the ability to set limits to authority, to say and do what the censor (external or internal) forbids, to create non‑authoritarian social structures. The decentralised affinity‑group structure of the anti‑nuclear campaigns, developed initially at the 1977 Seabrook action, and the theme of non‑violent direct action associated with the campaigns against nuclear weapons and nuclear power, seem to underlie much of her work in this area. 749 ’En effet, le mouvement néo-païen (1) se situe dans une tradition de contre-pouvoir (au niveau culturel l’identification à la sorcellerie offre une alternative et remettent en question le pouvoir traditionnel des hommes et de l’Eglise), (2) permet l’acquisition de pouvoir pour les catégories sociales les plus défavorisées, (3) permet l’acquisition de pouvoir selon des schémas non-conventionnels (la magie et non plus l’action sociale et/ou politique).
B. Epstein, “Grassroots Environmentalism and Strategies for Social Change”, p. 18.
Ibid., pp. 16-17.
D. J. Hess, Science in the New Age, p. 71.
J. Kling, “Narratives of Possibility”, p. 1.
Dans le New Age, la narration est à la confluence du penchant pour l’histoire personnelle (cf. supra, Chapitre III. D. 2.), de l’importance du sujet, de l’engouement pour la fiction et l’imaginaire, de la place centrale du livre, et de la volonté de redonner ses titres de noblesse à l’oralité.
P. Beyer, “Globalisation and the Religion of Nature”, p. 21.
G. Samuel, “Paganism and Tibetan Buddhism”, p. 135.