1. Idéalisation, identification et appropriation des cultures indigènes dans le New Age

Analyse du sentiment de perte : la logique de la quête identitaire

En relation avec le sentiment d’anomie observé en Californie (cf. supra, Chapitre VII. B. 2.), on observe chez les habitants de pays comme les Etats-Unis, où la majorité de la population actuelle est issue de la colonisation et de l’immigration (mais une telle analyse est également valable en Australie ou au Canada), un sentiment de perte de l’identité en lien avec la perte des racines 782 . La solution de continuité avec les ancêtres correspond à une perte du lien de l’homme à la terre au travers de l’histoire. Ce sentiment est aggravé par la bureaucratisation et l’institutionnalisation qui supplantent les modes d’organisation traditionnels et les savoirs-faire ancestraux. Il existe donc un vide identitaire qui se concrétise dans la quête d’identité nationale. Les individus trouvent un certain nombre de solutions pour combler ce vide. Dans le New Age, les ressources originales de la nation sont mobilisées, et notamment les traditions indigènes antérieures à la colonisation. De même, en Australie les aborigènes occupent une place grandissante au sein de la construction nationale :

‘Analysing the discursive products of contemporary ‘bearers of nationalism’ in Australian culture, Lattas commentates on the way Aborigines (‘the primitive’) have become a site for competing discourses about ‘who we are’ (the primitive ranges from the feared ‘killer ape inside us’ motif to a desired ‘original’ and ‘sacred’ essence). It is the latter to which Lattas devotes most attention, especially the ideas of those ‘merchants of authenticity’, leftist intellectuals and artists. In a discursis on what might be called the politics of truth and nothingness, Lattas is concerned with the forging, by these elites, of that which has become ‘one of our most powerful myths’ - the superficiality and spiritual corruption of the modern self. Pursuing a Foucauldian approach to power, those discourses rely on the positing of this sense of ‘lack’ - on a continuing belief that westerners are alienated from their selves and require the spiritual truths of the ‘other’ - to sustain their power and influence (Lattas 1990; 1991). ’ ‘Aboriginality is thus mobilised to fill the void. 783

La quête identitaire consiste donc en une prise de conscience d’un manque, auquel on se propose de répondre par une appropriation de l’indigénité, qui permettra d’établir une différenciation des autres pays développés et colonisateurs, de se distinguer de la modernité anomique, et d’acquérir une richesse culturelle qui fait défaut.

La sensation de perte se situe à plusieurs niveaux : au niveau générationnel, les traditions culturelles et notamment religieuses des parents sont refusées, invalidées, et rejetées en raison d’une analyse historique des traditions chrétiennes comme cautions des guerres, massacres, exploitations de la colonisation. Au niveau historique, la coupure du lien ancestral et territorial creuse la distance des traditions pré-chrétiennes (déjà difficiles à réinvestir dans les pays où la colonisation ne génère pas de discontinuité culturelle, comme en Europe). Les sensibilités permettent cependant une ré appropriation de ces traditions plus anciennes, cependant l’importance du lien à la terre implique un métissage avec les pratiques indigènes contemporaines. Cette démarche de métissage fait « boule de neige » et différentes cultures indigènes sont alors mises à contribution :

‘Many venerate ‘the old ways’ of pre-Christian Europe, especially Celticism – to which most adherents may reasonably claim descent. Yet, an identification with various other indigenous peoples – their cosmologies, rituals and artefacts – has intensified. Amid feral argot, body-art and material culture, a customised ensemble of beliefs, architecture, musical instruments, dietary habits, cooking methods, medical knowledge, clothing and hair styling deriving from various indigenous peoples, is discernible. Apart from Native American Indians and Aborigines, other oppressed, ‘heroic’ peoples/religions like Jamaican Rastafari are valorised, and eastern traditions (e.g. Hindu, Buddhism, Tao), following beat and hippy pathfinders, continue to be mined for their personal spiritual value. 784

Notes
782.

Cf. G. St John, Alternative Cultural Heterotopia, p. 191, S. S. Frankiel, California's Spiritual Frontiers, p. 27.

783.

G. St John, Alternative Cultural Heterotopia, p. 191.

784.

G. St John, Alternative Cultural Heterotopia, p. 167.