L’indigénité universelle

Le processus d’idéalisation utilise également le mythe de l’indigénité universelle. Dans une symbiose et une fusion des traditions indigènes de tous les continents qui s’appuie sur des ressemblances observées entre les traditions.

Le mandala*, par exemple, constitue l’un de ces piliers symboliques du New Age, utilisé à la fois en tant que grille explicative du monde, guide pratique et quotidien, et thérapie associée aux mythes du cycle de la vie. Il est observé dans les cultures des cinq continents, parfois sous des formes variables (la roue, l’habitat circulaire de type yourte, igloo ou tipi). L’observation de ses manifestations sur le mode de l’ethnologie comparée est une preuve pour le New Age que les cultures indigènes se rejoignent dans leurs intuitions et dans leurs principes fondamentaux. En cela, la nouvelle conscience rejoint C. Jung, qui voit en l’universel humain la base des parentés entre les constructions de l’inconscient (mythes, rêves, symboles, etc.).

Les cristaux fonctionnent sur un mode semblable, leur valeur intrinsèque s’appuyant sur l’observation de leur valeur culturelle dans des traditions très éloignées géographiquement et historiquement, unies cependant au niveau culturel de par leur appartenance au monde « indigène ». Le mythe de l’indigène universel tient ici lieu de justification et de légitimation, au point de se substituer à la nécessité d’une preuve scientifique, comme le montre cet extrait d’un ouvrage de vulgarisation sur les cristaux :

‘A booklet on crystals would be incomplete if it didn’t contain at least some information on the most famous form of crystal, the crystal ball. This unique form of quartz found by archeologists has been found in such widely separated areas as Peru, Siberia, Australia, Chaldea, Greece, Rome, Assyria, Persia, Japan and China. 790

Il ne s’agit donc plus d’être indien, ou aborigène, ou africain, d’appartenir à une tradition spécifique, mais d’être « indigène », et de conserver un lien fondamental aux traditions. L’archétype du « primitif », du « noble sauvage », intervient dans cette construction de l’indigénité universelle. L’indigène est soit jeune et plein de vitalité, soit un vieillard noble et sage, il entretient des relations simples avec son environnement social et naturel, il se comporte respectueusement envers les puissances universelles qu’il reconnaît de manière intuitive. Aucune part n’est laissée dans cette vision des choses à la complexité des attitudes vis-à-vis de la nature, à une attitude non pas « noble », « généreuse », « désintéressée », mais utilitaire, fonctionnelle, et expérimentale. Il s’agit d’un mythe et d’une « mémoire » choisie donc réinventée (simple et englobante), et non pas d’histoire (complexe et différenciante). En ce qu’elle nie la complexité des personnes et leur refuse certains types de comportements, cette conception peut s’avérer raciste et/ou discriminatoire. L’indigénité globale sert le processus de fétichisation, le cliché, le toc… Ou, au niveau esthétique, dans le kitsch.

‘Here, participants manipulate a repertoire of symbolism (paint, musical instruments, clothing, dance styles, architecture) assuming aspects of the valorised primitive, seeking indigeneity. While workshops like ‘Koori astronomy’ and ‘intercultural sharing’ - involving the construction of multi-totemic murals - appeared at Toc III (in Koori Culture), body decorations using ochre (hence the experience of getting ‘ochred’) and dot painting technique have become ephemeral recently. And, like primitive antennae seen on backpackers commuting to and from ConFest, the popularity of the didjeridu has escalated. Non-indigenous Australians (usually males but increasingly females also) desire to create the vibrating drone to which Aborigines have always attributed sacred significance, 791

Cette fusion de cultures différentes et spécifiques, animées par des problématiques particulières, en une communauté de fonctionnements, de systèmes de valeur, de philosophies, et fondamentalement, de religiosité, peut être perçue comme l’ultime mythe justifiant la dépossession et le racisme. En effet, les modes de fonctionnement soi-disant simples et admirables des peuples indigènes inspirent, et le New Ager est tenté de les reproduire. De ce fait, il en vient à s’approprier l’ultime propriété de peuples déjà exploités sur tous les autres plans : la propriété culturelle. Les sentiments universalisants et égalitaires de la doctrine mystique sont utilisés pour dénigrer la spécificité des différentes croyances, pour se désintéresser complètement de la volonté des peuples, et pour inclure la nation conquérante au cœur même des traditions secrètes de la culture indigène. Le langage, les traditions religieuses, vestimentaires, le style de vie, autant d’éléments que s’approprient les New Agers, alors pourtant que seule la spécificité de ces aspects culturels légitimait la revendication de territoire des indigènes. G. St John, auteur d’une thèse de philosophie sur le festival « ConFest » (qu’il considère comme le « centre marginal de l’Australie »), décrit ce processus d’appropriation :

‘Marcus (1988), in a discussion of the way ‘Ayers Rock’ (Uluru) is ‘becoming the sacred centre of a rapidly developing settler cosmology’ (1988:254), attends to the way ‘New Age pilgrims’ rework Aboriginal law and cosmology through the distorting prism of an ‘international mystical tradition’. Just criticisms are launched. Focusing on ‘a feeling of the timelessness and essential universal truths’ that Aboriginal beliefs offer, ‘Aquarians’ ignore the unique social, political and religious context of people’s such as the Pitjantjatjara. Furthermore, they seek a unity which ‘transcends all local differences’ and encompasses all religious traditions (ibid:265). The implications of such processes are not to be taken lightly. 792

Le mythe de l’indigène universel est d’autant plus fictif que les alliances pratiques des peuples indigènes, malgré la place qu’elles occupent dans les esprits et les discours, ne dominent pas. Les organismes internationaux les plus présents (l’ONU, par exemple) semblent parler encore une fois « au nom de… ». La parole sur l’indigénité est monopolisée par les citoyens des pays développés, selon le schéma déjà critiqué du droit des femmes ou des Afro-Américains. La notion d’alliances pan-indigènes pose un problème structurel, puisqu’elle implique un minimum de connaissances du monde occidental et de ses outils pour se construire (l’exemple d’Internet, est frappant : s’il constitue l’outil idéal pour créer des liens entre des minorités très éloignées et disposant de peu de moyens, il implique une maîtrise de nombre d’outils modernes, allant de l’écriture à l’informatique). De plus, la dimension internationale ne serait-elle pas, par essence, antinomique avec la logique locale essentielle dans l’indigénité ?

Notes
790.

Llewellyn Editorial Staff, The Truth about Crystal Healing p. 4.

791.

G. St John, Alternative Cultural Heterotopia, p. 190.

792.

Ibid., p. 194.