Appropriation et identification

L’appropriation de la culture indigène passe tout d’abord par une identification avec les peuples concernés. La quête identitaire, paradoxalement, en vient donc à une logique de transformation, voire de perte, il s’agit de devenir l’Autre. Les chemins de cette métamorphose sont divers : superficiels (adoption des artefacts, des vêtements) ou profonds (choix d’un mode de vie, de structures sociales, de mythes fondateurs), politiques ou mystiques, et parfois tout à la fois. Dans le New Age, le changement de nom est relativement courant, et symbolique du choix d’embrasser, au-delà d’une religion, l’ensemble d’une culture : beaucoup qui vont prendre des noms orientaux, amérindiens, celtes, ou islamiques (parmi les personnes interviewées, Leila et Carolyn se présentent sous leur nom d’adoption).

Le processus d’identification nécessite parfois une justification plus élaborée ou plus irréfutable. A ce niveau, interviennent les cérémonies mixtes (New Agers et indigènes) qui authentifient l’état d’esprit des nouveaux venus. Les ouvrages de L. Andrews (Star Woman) ou les ateliers conduits par des Amérindiens (pratique popularisée par Sun Bear 793 se situent dans cette logique. Les blancs en quête d’identité spirituelle sont admis dans la communauté d’esprit des Amérindiens après un chemin initiatique ou une reconnaissance intuitive immédiate. Les cérémonies qui nouent des liens fraternels (frères de sang) symbolisent cette entrée dans la culture ou la famille d’adoption.

Un degré supérieur de l’identification consiste à mettre en avant une parenté pré-existante. Cela peut se faire sur le mode de l’humanisme (fraternité universelle), mais dans le New Age la pratique prédominante est plutôt mystique. L’exploration des vies antérieures, ou la découverte des « spirit guides » (anges gardiens, ou esprits-guides, qui constituent une véritable parenté), permettent d’établir sans contestation possible le lien interculturel. Grâce à la régression dans les vies antérieures, l’individu « est déjà » l’Autre. Si la plupart des justifications sont dans le New Age individuelles ou universelles (ce qui revient au même de par l’abstraction de l’universel), elles peuvent cependant se situer au niveau socio-politique : comme c’est le cas dans l’éco-féminisme, les schémas d’oppression établissent la parenté des opprimés, d’autant plus lorsqu’ils partagent des structures sociales ou des combats politiques. La conception de la « tribu » se situe ainsi à la confluence des niveaux politiques et sociaux, et dans une juste tension entre universel et individuel, tout en évoquant de manière spécifique certaines formes indigènes. En cela, sa popularité persiste dans le New Age depuis les années 1960 :

‘The ‘tribe’ was presupposed in the thought and practice of 1960s and ’70s counter-culture, as communards […] romanticised indigenous cultures as socially, morally and ecologically sound. This was observable at Aquarius where it was also figured that similar ‘histories of oppression’ experienced by hippies and Aborigines warranted their ‘kinship’ (cf. Newton 1988:59), and where assumed mutuality resulted in alternates formulating ‘tribal rituals’ or ‘corroborees’ of their own. As Newton notes, such ‘kinship’ exposes basic naivety in alternate networks as, for instance, ‘tribalism’ at Aquarius was associated with the liberation of the kinds of social restrictions that are basic to ‘tribal societies’. ‘Traditional’ tribes possess status hierarchies, structural inequity exists between gender and age groups, and there are ‘taboos and fears surrounding the natural functions of the body’. The ascribed status of individuals in such societies contrasts to that which has been sought and achieved within counter cultures […], where personal freedoms are fundamental […]. 794

Ainsi, la construction d’une identité indigène dans le New Age se fait au prix d’une réinvention de la réalité sociologique et historique, sacrifiée dans le processus d’idéalisation. Il s’agit bien là d’une ré appropriation de ces cultures, qui implique une transformation et une réorganisation culturelles typiques des processus d’acculturation à l’œuvre dans l’immigration ou la colonisation.

Notes
793.

Sun Bear (1929-1992) est un Amérindien d’origine Ojibwa, fondateur et chef médecine de la « Bear Tribe Medicine Society. » Auteur important dans le New Age, (Black Dawn/Bright Day (1992) ,Sun Bear: The Path of Power (1983), The Medicine Wheel: Earth Astrology (1980),, The Bear Tribe's Self-Reliance Book (1977), At Home in the Wilderness, Buffalo Hearts (1970), Walk in Balance (1989), Dancing with the Wheel (1991), Dreaming with the Wheel (1994)), c’est l’un des principaux avocats de l’importance de la transmission de la sagesse des peuples indigènes à la civilisation technologique contemporaine.

794.

G. St John, Alternative Cultural Heterotopia, p. 219.