1.1.1- La mosaïque humaine

Le nom du Liban évoque dans l’histoire cette présence du christianisme et de L’islam qui s’est réalisée à travers des groupes communautaires religieux appartenant à ces deux grandes religions, et qui ont fini par faire un seul peuple au sein d’un seul Etat-Nation.

1.1.1.1- Multiplicité historique

La multiplicité au Liban est née de son histoire.

De par sa position géopolitique, le Liban a toujours été au carrefour de trois continents et le passage obligé entre l'Occident et le monde arabe, bénéficiant au surplus d'un accès vers l'Asie centrale et la Russie. Par le fait même, le pays fut maintes fois envahi et conquis par pratiquement tous les peuples du bassin méditerranéen, ainsi que par des tribus nomades qui remontaient de la péninsule Arabique. Enfin, du fait de sa configuration accidentée, ce pays de montagnes a souvent accueilli les réfugiés de nombreuses contrées. Tous ces peuples ont laissé non seulement une empreinte architecturale, mais aussi un apport culturel et religieux important.

À la fin du IIIe millénaire, les Cananéens et les Phéniciens établirent sur la côte des comptoirs et fondèrent des cités-États (Tyr, Sidon, Byblos, Beyrouth). Les Phéniciens avaient créé un alphabet de 22 lettres, qui supplanta l’écriture cunéiforme alors en usage, et se répandit dans toute la Méditerranée. Le Liban, qui fit partie de la Phénicie, connut dans l'Antiquité une civilisation brillante. L'indépendance de la Phénicie prit fin avec la conquête d'Alexandre le Grand en 333 avant notre ère. À partir de cette période, et ce, jusqu’au XVe siècle, le Liban disparut en tant qu’entité politique souveraine; il fut englobé au sein d'une vaste zone dite «syrienne». La domination grecque dura trois siècles, soit jusqu’à la tutelle romaine.

En 64 avant notre ère, les légions de Pompée fondèrent la Provincia Syria. Beyrouth devint la métropole militaire et commerciale des Romains en Orient. Le christianisme se propagea dans cette province syrienne dès la première moitié du Ier siècle. En 395, lors du partage de l'Empire romain, la Provincia Syria, devenue chrétienne, fut rattachée à l'Empire byzantin. L'Eglise syro-maronite a vu le jour dans le diocèse d'Orient de l'Empire byzantin; elle constituait une branche de l'ancienne Église syriaque d'Antioche.

  • La conquête arabe

En 628, les Arabes envahirent la région et, après la défaite byzantine à la bataille de Yarmouk en 636, les villes de la côte libanaise, tombèrent entre les mains des musulmans, qui placèrent la «province» sous leur autorité. Par suite de la conquête arabe, la population se modifia considérablement, car des Arabes, des Perses et des Juifs entrèrent dans le pays. Dès lors, les chrétiens durent côtoyer les musulmans sunnites. La conquête musulmane de 636 réduisit progressivement les chrétiens du Proche-Orient à une minorité. En revanche, les maronites réussirent à conserver une certaine autonomie en raison de leurs liens avec Byzance, avec l'Occident et avec les autres minorités du Mont-Liban.

Mais les querelles religieuses déchirèrent les populations, qui se divisèrent en sectes. C'est à cette époque que commencèrent à s'opposer les différentes communautés confessionnelles. La montagne servit de refuge, d’abord pour les maronites    (au VIIIe siècle), puis pour les chiites (IXe siècle) et enfin les druzes (XIe siècle) chassés d’Égypte. La plupart de ces communautés formèrent des minorités (maronites, chiites, druzes, etc.), ce qui en fit très tôt un pays multiconfessionnel, surtout avec l’intégration du pays dans l’Empire byzantin (l’Église orthodoxe), puis dans l’Empire arabe (musulmans).

Au milieu du XIe siècle, le grand schisme d'Orient divisa le monde chrétien en deux grandes communautés : les catholiques romains et les orthodoxes. À partir de ce moment, les chrétiens qui restèrent attachés à Rome furent appelés «catholiques latins», et ceux de l'Église d'Orient furent appelés «orthodoxes». C'est ainsi que le Liban s'enrichit encore d'une autre communauté religieuse.

  • Le Moyen Âge

Lors des croisades (1090-1300), les Francs s’emparèrent de l’Orient et Jérusalem tomba entre leurs mains en 1090, puis Tripoli en 1109, Beyrouth et Sidon en 1110. Le Liban resta deux siècles sous la domination franque, c’est-à-dire jusqu’en 1289 (lors de la capitulation de Tripoli). Ensuite, les autres villes libanaises passèrent sous l’autorité des mamelouks (milices arabes), qui gouvernèrent la région pendant deux siècles et demi, de la fin du XIIIe siècle jusqu’en 1516, soit lors de l’arrivée des Ottomans. Pour fuir les mamelouks, de nombreux maronites trouvèrent asile dans la haute montagne libanaise ainsi qu’à l’île de Chypre.

À partir de ce moment, la domination ottomane ouvrit une nouvelle période, car les Turcs accordèrent une autonomie aux Libanais au prix d’un tribut. Mais ce fut une période politiquement instable au cours de laquelle les maronites, les druzes et les chiites entrèrent en conflit les uns contre les autres. Les druzes réussirent à contrôler le pays durant deux siècles, ce qui favorisa les affrontements violents avec les maronites. Au cours de la période ottomane, spécialement à partir du XVIIIe siècle, le Liban accueillit plusieurs minorités fuyant la persécution : des Grecs et des Syriaques catholiques y trouvèrent non seulement un gîte pour leurs communautés naissantes, mais des couvents pour leurs moines et un siège pour chacun de leurs patriarcats récemment créés.

  • L’intervention de la France

Au milieu du XIXe siècle, la France et la Grande-Bretagne intervinrent pour assurer la protection de certains groupes ethno-religieux, la guerre ayant éclaté entre maronites et druzes. Un gouvernorat autonome maronite, placé sous la protection de la France, fut créé en 1864. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, l'Empire ottoman fut démantelé et le Liban passa sous mandat français en 1920. C’est à ce moment que les frontières actuelles du «Grand Liban» (le Mutesarrifat libanais, Beyrouth, la Békaa, Tripoli, Sidon, Tyr) furent créées et que s’implanta assez durablement la langue française. Quelques dizaines de milliers d’Arméniens fuyant la persécution turque s’établirent dans le pays, suivis par une immigration kurde (environ 60 000 personnes).

Dans la Déclaration du mandat, adoptée le 24 juillet 1922 par le Conseil de la Société des Nations (SDN), l’article 22 du Pacte de la SDN imposait à la France, la «Puissance mandataire», le «respect du statut personnel des diverses populations et de leurs intérêts religieux» (art. 6 de la Déclaration du mandat), le maintien des «droits des communautés» dont celui de «conserver leurs écoles, en vue de l'instruction et de l'éducation de leurs membres» (par. 3 de l'article 8) et l’abstention «toute intervention [...] dans la direction des communautés religieuses [...] dont les immunités sont expressément garanties» (art. 9).

Cependant, la nouvelle entité territoriale libanaise ne fut pas acceptée par les nationalistes arabes, qui souhaitaient la création d'une «Grande Syrie». Pour sa part, la Syrie devenue indépendante n'admit pas d'être privée d'une grande partie de sa façade maritime sur la Méditerranée.

  • L’indépendance

Le Liban accéda définitivement à l'indépendance en 1943. Pendant plusieurs décennies, le pays avait adopté deux langues officielles : l’Arabe et le Français. Mais les nouveaux dirigeants s'empressèrent d'adopter les modifications constitutionnelles qui affirmèrent le statut souverain du Liban et abolirent le français comme «deuxième langue officielle». Le Liban accueillit les Palestiniens chassés d’Israël après 1948. Ces derniers se sont installés dans des camps de réfugiés et fournirent la main-d'oeuvre nécessaire au cours de la période de prospérité économique. Suite à l'instauration dans les pays arabes des régimes dits révolutionnaires ou socialistes, le Liban vit arriver l’une des dernières grandes vagues des minorités devenues indésirables dans leur propre pays: les Assyriens, les Syriaques et les chaldéens d'Irak, les alaouites de Syrie, les chrétiens d'Égypte, etc. Après la guerre israélo-arabe de 1967, d’autres réfugiés palestiniens affluèrent en masse.

Au lendemain des affrontements de 1970, l'Organisation de libération de la Palestine, chassée de Jordanie, s'installa avec ses combattants sur le territoire libanais. Quelque 500 000 Palestiniens s’établirent ainsi au Liban, ce qui représentait environ 15% de la population. La présence palestinienne provoqua l'intervention armée de la Syrie et d’Israël. Le fragile Liban ne put résister à la violence des événements et fut entraîné dans la guerre civile, activant alors le processus de la dislocation de l’État.

La déstabilisation du Liban, qui vient à peine de sortir de trente ans de présence étrangère sur son territoire, ne pourra qu'envenimer la cohabitation encore fragile des différentes communautés libanaises. Malgré des moyens militaires inférieurs, le Hezbollah a toujours réussi à tenir tête à Israël.

  • Données démolinguistiques

Toute donnée d’ordre démographique sur le Liban reste relativement aléatoire. L’imprécision des estimations d’ordre démographique s’explique par l’absence de tout recensement depuis la fin du mandat français (1920-1946), du fait que les résultats auraient des implications sur le partage politique du pouvoir. Les autorités libanaises ont préféré s’en tenir au statu quo plutôt que de susciter de nouveaux conflits. Le dernier recensement officiel au Liban date de 1932, sous le mandat français. 

C’est sur la base des résultats de cet ancien recensement que fut effectué le partage du pouvoir entre les différentes communautés en 1943 et que furent distribués les postes dans la fonction publique. Depuis cette époque, la répartition des principales responsabilités politiques et administratives se fait entre les six grandes communautés confessionnelles : les maronites, les grecs-orthodoxes, les grecs-catholiques, les sunnites, les chiites et les druzes. Avec ce système des «quotas», chacune des six grandes communautés détenait un droit de veto implicite en cas de désaccord. Rien n'était prévu pour adapter le système à l'évolution démographique.

Cependant, en octobre 1996, le ministère des Affaires sociales a publié les résultats du premier recensement depuis 1932. Le Liban avait en 1996 une population de 3,1 millions d’habitants, sans compter les 200 000 à 300 000 réfugiés palestiniens. Puis, d'après une étude statistique de 1997 sur les conditions de vie des ménages, les autorités libanaises estimèrent à quatre millions le nombre d'habitants au Liban, dont 350 000 réfugiés palestiniens. La population du pays comporterait environ 85% de Libanais, 12% de Palestiniens et 3% de Syriens. Les Arméniens et les Kurdes résidant au Liban sont, dans leur immense majorité, de nationalité libanaise. Notons enfin qu'environ 13 millions de ressortissants d'origine libanaise vivraient à l'étranger. Le tableau qui suit présente la population estimée en 2004, soit 3,5 millions d'habitants :

Les groupes ethniques sont au nombre de 22 (au moins). Les communautés d'origine du Liban sont les Arabes libanais (70,1 %), les Druzes (10,1%), les Arméniens (4,9%), les Alawites (2,8%), les Chaldéens (0,5%), les Araméens (0,1%), les Assyriens (0,0%) et les Juifs (0,0%). Tous les autres sont des communautés immigrantes : Palestiniens, Égyptiens, Syriens, Français, Irakiens, Américains, Kurdes, Turcs, etc. Si plusieurs communautés parlent une langue propre, d'autres partagent la même langue.