1.4.1- Singularité obsessionnelle

Fabiola AZAR, dans son livre "Construction identitaire et appartenance confessionnelle au Liban" décrit les enjeux psychosociaux du contact intercommunautaire au Liban imposé par l'espace géographique :

Les groupes confessionnels se sont retrouvés à l’étroit et ont été obligés de se côtoyer. Cette proximité a favorisé la prise de conscience de la présence de l’autre comme différent.

En conséquence, des attractions et des répulsions se profilent dans les diverses confessions. Par exemple, le Maronite qui a réussi à s’affirmer et à se former une identité positive s’est attiré l’hostilité des autres qui le considèrent comme un accapareur de pouvoir. Profitant de ses amitiés avec la France, il réclame la création du Grand-Liban et son indépendance par rapport à la Syrie historique.

Les Chiites, persécutés successivement par les Sunnites et les Druzes, n’ont pas su se débarrasser de ce sentiment d’amertume qui finit par les classer en tant que communauté renfermée sur elle-même, affaiblie par la pauvreté et par le manque de droits. Ce sentiment la pousse actuellement à tirer tous les profits possibles pour s’affirmer. L’image que les autres ont d’elle est plutôt négative car elle n’a pas pu ni su profiter de l’ouverture des autres communautés aux missions étrangères qui ont apporté leur expérience dans le domaine de l’éducation et de la formation professionnelle. Il a fallu attendre pratiquement jusqu'en 1926 pour que l'existence de la communauté chiite, en tant qu'entité, soit officiellement reconnue.

L'émergence du Hezbollah 13 sur la scène politique libanaise au début des années 80 est en quelque sorte le couronnement d'une longue maturation de l'affirmation de la présence et de l'identité des chiites en tant que communauté socio-politique sur l'échiquier local.

Les druzes, parce qu’ils ont longtemps goûté à l’autonomie du pouvoir gardent d’eux-mêmes une image positive, dont ils s’acharnent à défendre. Ils gardent une certaine méfiance à l’égard des Maronites qui sont depuis toujours leurs concurrents.

Les Sunnites majoritaires se sont toujours comportés comme des souverains. Ils ont une image de soi positive qui s’opposait à une image négative de toutes les autres minorités. Avec la création du Liban, les Sunnites se sont résignés à accepter l’indépendance de ce pays même s’ils préféraient qu’il soit une province de la Syrie.

Les Orthodoxes, qui se considèrent comme les Chrétiens de l’Orient, se font une image positive d’eux-mêmes, parce qu’ils sont parmi les premiers chrétiens de cette région et ont un héritage assez ancien et assez riche. Ils ont toujours eu de bons rapports avec les Sunnites, qu’ils considèrent comme leurs partenaires. Par contre, ils n’apprécient pas les Maronites qui, dès le début de leur installation, ont cherché à se distinguer des autres chrétiens déjà existants et parce que les Maronites ont tracé l’avenir qu’ils souhaitent pour le Liban sans prendre en considération l’opinion et les tendances des autres chrétiens. Les Orthodoxes préféraient un rattachement de ce pays à la nation arabe ou à la Grande Syrie.

Les Catholiques, qui se sont forgé une bonne relation avec leurs voisins chiites, ont su garder une identité indépendante et positive grâce à leur union avec Rome. Ils ont par contre une certaine dent contre les Orthodoxes depuis le schisme.

Les chrétiens ont exprimé une certaine volonté de se différencier des musulmans en se valorisant positivement et en dévalorisant ces derniers. Ils tiennent à préserver leur personnalité particulière et leur singularité. Le chrétien a peur du musulman car il lui attribue fanatisme, volonté d'islamiser le Liban et de sacrifier ce pays au profit des intérêts arabes.

Le musulman a bien exprimé les préjugés qu'il nourrit à l'égard du chrétien accroché, selon lui, aux privilèges que lui accordait le système politique de 1943 (date de l'ancienne répartition des pouvoirs publics).

Par conséquent, chaque communauté veille, enfin, à conserver ses liens avec des protecteurs, plus ou moins puissants, en dehors du Liban. Ces protections suivent les lignes des identifications religieuses. Les chiites cultivent leurs liens avec les chiites d'Iran et d'Irak, et se sentent relativement proches des alaouites au pouvoir en Syrie. Les sunnites cultivent leurs liens avec l'Arabie Saoudite, avec l'Egypte et avec les palestiniens. Les maronites cultivent leurs liens avec l'Occident en général et la France en particulier. Les grecs-orthodoxes se sentent plutôt proches des orthodoxes de Russie, tandis que leurs liens avec la Grèce restent importants, sans toutefois avoir beaucoup de conséquences politiques. D'autres facteurs interviennent, bien sûr, mais on ne peut s'y attarder dans ce bref survol.

Le dicton comme schème culturel ou idéologique populaire des sociétés traditionnelles, est capable de nous informer sur les images réciproques de ces communautés.

« Un maronite généreux ? C’est stupéfiant »

« Dîne chez le Druze et dors chez le Chrétien »

« Même un marteau ne pourra pas casser la tête d’un Orthodoxe »

« Si l’ail s’ajoute à la pâtisserie, le Maronite aime l’orthodoxe »

« Aime le Chrétien tant que tu as besoin de lui, et quand tu peux renverse le mur sur lui ».

Nous laissons à ces dictons le soin d’exprimer eux-mêmes les relations qui s’étaient établies entre ces communautés et l’image que chacune d’elles s’est faite de l’autre et de soi.

Notes
13.

L'émergence du parti chiite Hezbollah sur la scène libanaise au début des années 80 est incontestablement le fruit de la mise en place de la République islamique en Iran.