2.3.2- Le mariage religieux

Le point fort du mariage religieux au Liban réside dans le fait que ce mariage est en même temps coutumier. La célébration religieuse constitue l’étape essentielle du mariage coutumier, et son absence met en cause la validité du mariage - dans la conscience des gens - même quand celui-ci est contracté civilement (à l’étranger). Mais comment peut-il en être autrement dans un monde où la religion est l’élément constitutif du groupe, et en l’absence de tout autre alternative sur le territoire libanais ? 

‘« Le titre 3 de la loi du 7 décembre 1951, réglementant l’enregistrement des actes de l’état-civil (modifiée par la loi du 11 mars 1954, et celle du 18 décembre 1956), est consacré aux Actes de mariage, de dissolution et de nullité de mariage… . L’article 22 précise que « toute personne qui se marie doit faire une déclaration au bureau de l’état-civil dans le mois qui suit le mariage. Celle-ci doit être authentifiée par le chef spirituel qui a assisté au mariage, et signée par le moukhtar (maire) et deux témoins… » (HELOU, 1996, p.20). ’

On constate que l ‘Etat libanais mène une politique passive en la matière, et se contente uniquement de la réglementation des enregistrements.

‘"Article 353 : Le ma'zoun doit, dans les quarante-huit heures de la conclusion du mariage, transmettre l'acte avec tous les documents, au juge du tribunal auquel il est rattaché. Le juge en assure alors la transcription dans le registre spécial du tribunal ainsi que sa notification au bureau du recensement et de l'état civil"(MAHMASSANI, p.42).’

À ces frontières géographiques qui isolent les différentes communautés au Liban, s’ajoute un cadre juridique de statut personnel spécifique à chacune d’elle. De ce fait, le mariage, sujet qui nous intéresse ici, diffère d’une communauté à l’autre.

 L’autorité confessionnelle compétente pour statuer sur le contrat de mariage et ses effets est celle devant laquelle a été célébré le mariage. S’il y a deux ou plusieurs contrats réguliers, l’autorité compétente est celle devant laquelle a été célébré le premier contrat. S’il existe deux ou plusieurs contrats dont l’un seulement est conforme aux règles, l’autorité compétente est celle devant laquelle a été célébré le premier contrat régulier (art.14).

Dans les mariages mixtes, le mariage doit régulièrement être célébré devant l’autorité religieuse dont relève le futur époux, à moins que les deux parties ne soient d’accord pour choisir l’autorité de qui dépend la future épouse ; cet accord est conclu par écrit, signé des deux parties et implique leur soumission aux lois de ladite communauté.

Est passible d’une amende : - tout ministre religieux qui célèbre un mariage entre deux parties qui n’appartiennent pas à sa communauté ; - tout ministre religieux qui préside un mariage sans y être autorisé par son supérieur compétent ; - tout ministre religieux qui assiste à un mariage dont l’une des parties n’appartient pas à sa communauté, sans un certificat d’état libre émanant de l’autorité dont relève la partie étrangère à sa communauté.

Au Liban, où coexistent de très nombreuses communautés chrétiennes et où le régime du statut personnel a pris, depuis 1943, les traits du “confessionnalisme”, des chrétiens peuvent être tentés de changer de confession, notamment pour obtenir un divorce.

Un article intitulé "La dictature du mariage religieux" nous donne une idée claire du mariage au Liban :

‘"Le 17 Novembre a marqué le lancement d'une grande campagne nationale de la société civile libanaise pour réclamer l'amendement du Code du statut personnel, et notamment pour l'autorisation du mariage civil, toujours interdit au Liban. À cette occasion des centaines de personnes ont manifesté devant le Conseil des ministres. Toutes portaient un long fil sur lequel étaient suspendues les positions signées et divers slogans sur les statuts personnels et les libertés. Dorénavant et pour six mois, date à laquelle des députés soutenant le mariage civil déposeront au Parlement un projet de Code civil, un sit-in sers organisé une fois par mois devant le Conseil des ministres. En parallèle, les chaînes de télé se sont également engagées à diffuser pendant toute la durée de la campagne une série de spots expliquant le mariage civil.
À l'heure actuelle, toutes les lois relatives au statut personnel, c'est-à-dire au mariage, au divorce, à la filiation… Sont des lois religieuses. Avec 18 religions officiellement reconnues, le schéma est simple : à chaque communauté ses lois et à chacune, des juges. Les précédentes tentatives de réformes ont toutes échoué. Dernière en date, celle de l'ancien président Elias HRAOUI qui avait vainement tenté d'œuvrer pour un changement de législation. Au lendemain de cette tentative, en mars 1998, une soixantaine d'ONG s'étaient alors regroupées en collectif pour lancer une nouvelle croisade. Premier objectif, créer un véritable mouvement social dans ce pays où personne n'ose parler publiquement du mariage civil."Le droit de se marier sans obstacle religieux doit exister. C'est une question de démocratie et de liberté de choix garantie par la Constitution libanaise qui a intégré la Déclaration universelle des droits de l'Homme" annonce Walid Slaiby, coordinateur de la campagne menée par le Forum national pour le statut personnel civil au Liban. Une position a d'ailleurs déjà recueilli 55000 signatures.
Les différentes lois religieuses maintiennent l'isolement de chaque confession et dressent un barrage contre les mariages mixtes. Or pour Samia CHA'AR, professeur à l'université libanaise de droit , “on ne peut réaliser l'égalité sans une loi civile unifiée des statuts personnels. Il faut briser l'étau de ces législations archaïques et être à la hauteur des lois internationales". Il existe également dans les lois actuelles une très grande discrimination à l'égard des femmes, notamment auprès des communautés musulmanes, du fait de la pratique de la répudiation et de la polygamie. Quant aux chrétiens, le recours au divorce étant prohibé, seule l'annulation peut dissoudre le mariage. "L'adoption d'un Code civil créera donc une coexistence authentique et profonde, un espace civil non-ségrégationniste dans un pays où toutes les institutions restent dépendantes des institutions confessionnelles" ajoute Walid Slaiby.
Aujourd'hui, les couples qui désirent échapper à ce diktat religieux filent se marier civilement à l'étranger. À leur retour, le mariage est homologué. Mais si le législateur libanais reconnaît de tels mariages pour les non-musulmans, il n'en est rien pour les musulmans. Cela n'a pas empêché Rima Ibrahim et Fadi Samra, tous deux musulmans, de se marier civilement en Turquie. "N'étant pas croyante, me présenter devant un cheikh n'aurait été qu'une tromperie. Et si je n'étais pas allée jusqu'au bout de mes convictions, j'estime qu'aujourd'hui je n'aurais plus le droit de soutenir le mariage civil" raconte Rima.
Pour Sabine SIDAWI, chrétienne, orthodoxe, il n'y avait pas d'autre choix que de passer quelques jours à Chypre pour épouser Redha HAMDAN, chiite. "Si nous avions voulu nous marier religieusement, j'aurais dû me convertir, c’était hors de question. Nous croyons à la laïcité. Nous nous sommes choisis parmi tous les Libanais et pas seulement au sein de notre confession. Je ne voulais pas non plus qu'un homme religieux dirige notre communauté de vie. Pour moi, si le Liban connaît encore tant de problèmes, c'est en grande partie à cause d'eux" (SARAH, 1999).’

Ainsi, l'institution du mariage est gérée par les chefs religieux; il ne peut être contracté que religieusement. Toute vie de couple hors du cadre du mariage religieux est considérée comme déviance. Chaque communauté a son statut juridique spécifique; les chrétiens se marient dans les églises et les musulmans dans les mosquées. En revanche, les mariages contractés civilement à l'étranger sont reconnus au Liban et sont inscrits dans les registres d'Etat.

La situation devient plus compliquée quant il s'agit des mariages interreligieux. Le statut des couples mixtes est inscrit dans l'ambiguïté. Le mariage mixte est souvent célébré devant l'autorité religieuse dont relève l'époux. Au moment du conflit, les partenaires n'hésitent pas à changer de confession ou de religion afin d'éviter des inconvénients ou de gagner des avantages. Ajoutons que le mariage au Liban est un acte d'ordre public plus que d'ordre privé.

Cependant, une étude microscopique de la société libanaise actuelle, faite précédemment 15 , nous annonce une évolution en cours au sein de cette société.

Notes
15.

Mon travail de recherche en DEA (2000-2001) intitulé : « Eléments d’analyse de l’échec conjugal dans la société catholique libanaise. Du holisme à l’individuation. ».