La famille, lieu de conflits

La famille serait ainsi perçue “comme un processus d’efforts permanents pour maintenir la paix ; celle-ci résulterait d’un ordre négocié, d’un arrangement non pas définitif mais ouvert à une incessante re-négociation” (MICHEL, 1972, p.220).

Il est possible que cette description enlève à l’image que l’on se fasse de la famille une partie de sa poésie. Si la famille est aujourd’hui le nœud de tous les ressentiments, ce n’est point seulement qu’il lui arrive trop fréquemment d’être un nœud de vipères, c’est surtout que l’humanité moderne voit en elle le principe obstacle à ses plus profonds désirs, à ses plus essentielles revendications.

‘« Quelle que soit la culture, la famille demeure le lieu de la violence. Ce petit ensemble humain cimenté par l’affectivité, la sexualité, l’éducation des enfants et les contraintes sociales, organise un champ affectif si proche que le rituel y perd son efficacité … La famille, ce havre de sécurité, est en même temps le lieu de la violence extrême » (CYRULNIK, 2000, p.135).’

Comme toute société close, la famille peut tomber dans un égoïsme collectif. Le secret familial apparaît comme l’exclusion d’autrui, où le privé n’est qu’une barrière hargneuse contre le dehors, où l’intimité signifie seulement étroitesse d’esprit et du cœur vis-à-vis de l’extérieur.

On voit les conséquences en ce qui concerne la famille : communauté ouverte sur l’absolu, elle personnalise l’homme ; société close sur elle-même, elle le déshumanise. Telle est cette famille fermée au reste du monde, exerçant une pression interne sur ses membres, leur interdisant la jouissance d’un espace privé, et entravant le développement de leur personnalité.

La forme, la cohésion et l’autorité de l’institution familiale doivent être assurées ou restaurées pour constituer le cadre de vie et le lieu de la transmission des modèles et des références idéologiques. La solidarité collective, le contrôle de la société doivent s’exercer en priorité pour diffuser les habitudes de vie et les normes conformes à un projet de société unifiant.

Dire que la famille est une institution, c’est donc observer d’abord que ses membres ne peuvent agir suivant leur bon plaisir, et que leurs conduites sur les points essentiels sont programmées - et de la même manière pour tous - par la société. Cela est dû essentiellement à l’autorité paternelle. Aussi le plus difficile problème est-il celui du sens et de la signification de la paternité.

Ce que veulent nos contemporains, c’est s’émanciper, se libérer ; et il leur apparaît bien vite que toute émancipation a sa source dans l’émancipation et la libération par rapport au père. Affaiblir la puissance paternelle, c’est affaiblir du même coup le pouvoir du patron, du prêtre, du chef quel qu’il soit. Tout pouvoir, semble-t-il, a son origine dans l’autorité paternelle. Les contraintes de l’institution familiale sont parfois lourdes et elles peuvent constituer un handicap pour la réussite personnelle.

Les femmes surtout prennent conscience qu’à ce jeu, elles sont perdantes, que la prospérité est surtout l’affaire des hommes, en un mot, que la famille les tient éloignées d’une société florissante qui leur demande beaucoup et de laquelle elles ont le sentiment de recevoir peu.