2.4.2- Au secours de « Je »

A quoi pense-t-on d’abord lorsqu’on parle d’individuation ? À une attitude d’isolement et de défense qui centre l’individu sur lui-même. À un affaiblissement du lien social ? À un libéralisme mâtiné de narcissisme ?

Bien au contraire, ce concept d'individuation a un sens positif.

2.4.2.1- Concept à définir

L’individuation signale moins un repli généralisé sur la vie privée que la montée de la norme d’autonomie : se comporter en individu signifie décider de sa propre autorité pour agir par soi-même, avec les libertés, les contraintes et les inquiétudes qu’une telle posture implique.

Si l’individuation "relève de normes et de rapports sociaux, il est moins repli qu’appui sur le privé. L’inflation de la vie privée ne doit donc pas être comprise comme un étalage narcissique – c’est un épiphénomène – elle est ce que devient la vie privée quand elle se modèle sur la vie publique : un espace où l’on communique pour négocier et aboutir à des compromis au lieu de commander et d’obéir” (CYRULNIK, 2000, p.19).

L’individuation est coûteuse et ne va pas de soi : en effet, pour le gain indéniable de liberté qui se trouve ainsi introduit, que de souffrances psychiques mais aussi sociales, car l’impossibilité où se trouve placé l’individu de s’en remettre à un ordre des choses extérieur le conduit à devoir assumer seul des choix de vie, des choix moraux, des choix existentiels qu’en d’autres temps il n’aurait pas eu à faire, car ceux-ci lui étaient dictés, quoi qu’il lui en coûte, par la structure sociale. Assumer ses choix, c’est aussi s’en sentir responsable, redevable, et se voir contraint par eux.

La liberté de l’individu, c’est aussi sa plus grande exposition. Plus il est libre, plus il lui faudra intérioriser un certain nombre de contraintes, et plus cette nécessité va apparaître paradoxalement comme une charge, comme quelque chose de coûteux. C'est ce paradoxe qu'il faut explorer, ce prix à payer pour la liberté.

L’individuation considère en effet l’individu comme une réalité première et irréductible. Elle pose que l’individu est pour lui-même et pour la société l’unité de référence. Elle ne considère pas seulement que chacun existe pour soi ; elle estime que l’individu peut et doit partir de lui-même pour fonder sa conduite.

L’individuation désigne ce dont les parties ne peuvent pas être appelées du même nom que le tout. Elle est essentiellement « ce fait métaphysique qui fait que je suis tel et non tel autre » (LACROIX, 1981, p.26). L’autonomie de l’individu, c’est la grande promesse de la modernité, de l’émancipation moderne, notre version de l’idée de liberté.

Vouloir être soi c’est toucher la source même de son être, le fond de sa conscience: tout ce que je sens être bien est bien, tout ce que je sens être mal est mal, le meilleur de tous les casuistes est la conscience. Chaque individu est poussé par une inclination naturelle à chercher ce qui est bon pour lui et à fuir ce qui lui paraît mauvais. L’action s’est individualisée. Elle n’a alors d’autre source que l’agent qui l’accomplit et qui en est le seul responsable.

L’individuation voit dans l’individu l’être singulier, qui forme une unité, qui a une identité propre. Elle considère chaque homme comme l’unité numérique, l’entier absolu plutôt que comme la partie d’un tout. Ainsi, l’individu n’est pas l’être inculte qui ne voit que lui-même, mais l’individu appelé à raisonner par lui-même et à ne pas céder à la lâcheté.

Pour l’Homme moderne, il fallait abandonner les coutumes arbitraires et aliénantes et exister comme acteur de son histoire. “De l’obéissance à l’action, de la discipline à l’autonomie, de l’identification à l’identité” (EHRENBERG, 1998, p.243).

Le sujet abandonne les contraintes sociales, la vie sociale pour se consacrer à sa destinée propre. Si l’individuation doit apparaître dans une société du type traditionnel, holiste, ce sera en opposition à la société et comme une sorte de supplément par rapport à elle, c’est-à-dire sous la forme de l’individu hors du commun.