3.4.2- Un « mauvais » mariage

Les recherches sur les couples mixtes sont investies par des attitudes contrastées. On y trouve à la fois une banalisation de leur situation, soulignant leur non spécificité, et, à l'inverse, une idéalisation exaltant leur côté enrichissant et révolutionnaire.

En quoi la notion de couple mixte diffère-t-elle de celle d’hétérogamie ?

L’hétérogamie est la mesure d’une distance sociale entre les conjoints, distance qui peut s’évaluer sur plusieurs dimensions : la classe sociale, la classe d’âge, la distance géographique… or dans la notion de couple mixte, on retrouve à l’évidence cette idée de distance entre les conjoints. Cependant les éléments de distance pris en compte dans la notion d’hétérogamie sont objectivables, désignant l’appartenance à des catégories identifiables par le sociologue : la catégorie socioprofessionnelle, la classe d’âge, le lieu de résidence…

Mais du côté de ce qu’il est convenu de désigner comme mariage mixte, la distance entre les conjoints ne s’évalue pas nécessairement en fonction de leurs appartenances à des catégories discrètes, mais fait aussi référence à des ensembles flous comme la race ou la culture.

La notion de mariage mixte s’écarte au moins de la notion d’hétérogamie en ceci qu’elle inclut une dimension nécessairement subjective.

Selon la conception normative, tout couple ou mariage est censé être déjà (sexuellement) mixte, l’adjectif signale une différence entre les conjoints nécessairement autre que sexuelle. Autrement dit, la mixité (sexuelle) étant supposée aller de soi dans tout mariage, le mariage mixte doit être entendu comme marquant d’autres différences, quelles qu’elles soient. L’expression est aujourd’hui employée pour signifier toutes les sortes de distinctions entre les conjoints, sans exclure le genre.

La réplique stéréotypée, lorsqu’il est question des mariages ou couples mixtes : mais tout couple (mariage) est mixte ! voudrait faire croire que « mixte » ne renvoie qu’à la co-présence des sexes biologiques et qu’il serait absurde d’imaginer des couples « non mixtes ». D’autre part, la remarque « tout couple est mixte », qui se voudrait ridiculisante, puisqu’elle présuppose qu’une union ne peut avoir lieu qu’entre personnes de sexes différents, s’annule avec la prise en compte des couples homosexuels, dont l’existence est de plus en plus largement reconnue et légitimée par les opinions publiques et les lois de certains Etats.

Bref, la notion de « sexe » est en train de perdre sa simplicité psycho biologique. En revanche, l’autonomie irréductible des consciences individuelles, l’hétérogénéité des êtres uniques, dotés chacun d’histoire singulière, peut bien s’interpréter comme une « mixité ».

Pour tenter de montrer la persistance de l’influence de références culturelles spécifiquement masculines et féminines au sein des couples, nous postulons que non seulement tout couple est mixte mais que tout couple est culturellement mixte car les modes de penser, d’agir, de vivre, diffèrent selon que l’on appartient à la catégorie nominative « homme » ou « femme ». Nous supposons que l’écart culturel entre homme et femme se dévoile lors des crises conjugales et notamment au moment des divorces.

Un mariage peut être considéré comme mixte, suivant les lieux, les époques et les points de vue, pour des raisons différentes :

Partout où des différences culturelles ou des différences d’ethnie conduisent à en faire une dimension que suffisamment d’acteurs voient comme source de marquage des mariages, ceux-ci pourront être considérés comme mixtes.

Mais tout écart à la norme (matrimoniale) n’est pas mariage mixte. Il y a d’autres formes d’écart à la norme qui conduisent à marquer certains mariages.

Citons par exemple :

Dans l’ensemble, cet inventaire des mariages confirme que les « bons » mariages sont ceux qui se font dans la « bonne distance ». Les mariages consanguins et homosexuels violent cette exigence par excès de proximité. Cependant, « les écarts à la norme désignés comme « mariages mixtes » concernent l’excès de distance, non l’excès de proximité. On ne caractérise pas comme « mixtes » les mariages pour lesquels l’excès de distance a un aspect fortement dissymétrique, comme entre classes différentes ou âges différents, mais seulement ceux où il existe un point de vue où la différence impliquée est entre deux catégories éthiquement équivalentes » (VARRO, 1998, p.260).

Parler de mixité paraît scandaleux, parce que c’est rappeler, par exemple que l’un des conjoints est ou a été (et reste peut-être quelque part) étranger.

Un « mariage mixte » est avant tout un mariage marqué par rapport aux mariages " ordinaires", mais ce marquage ne recouvre pas forcément des attributs socio-économiques, des écarts professionnels ou des différences de niveaux éducatifs, ni d’ailleurs, le plus souvent, une différence de nationalités.

Selon le contexte spatial et temporel et selon l’énonciateur, il pourra aller du simple constat d’une différence entre les conjoints, quelle qu’elle soit, à un acte de langage « lourd », entraînant des conséquences sociales graves pour les intéressés : stigmatisation due à l’intolérance à la différence en question, discrimination, refus de fréquentation, exclusion. Quel que soit le sens qu’on lui donne, la catégorisation spontanée en « couple mixte » est toujours significative, soutenant la séparation subjectivement construite entre le eux et le nous.

‘« La mixité implique deux catégories éthiquement équivalentes. Elle répond au reproche que le mot « mixte » introduirait toujours une inégalité et une hiérarchie dans les appartenances et constitue un jugement de valeur et un instrument de péjoration. Les entretiens d’enquêtes montrent, au contraire, qu’au départ, pour les deux conjoints, existe un présupposé d’égalité (bien que les manières de définir l’égalité soient diverses). L’inégalité intervient plus tard, suite au jeu des rapports des forces et des représentations internes et externes. De ce point dire un mariage qu’il est mixte signifie qu’il unit des personnes perçues (qui se perçoivent) comme à la fois « différentes », mais « égales », et, par là, « bien assorties » (VARRO, 2003, p.94).’

Certaines personnes refusent de participer à des enquêtes sur les « couples mixtes », puisque ce serait admettre qu’on fait partie, d’une part d’une catégorie (alors qu’on ne souhaite pas être catalogué) et, d’autre part, d’une population à problèmes (si elle n’a pas de problèmes, pourquoi l’étudier ?). Prendre au sérieux le refus des gens d’entrer dans une catégorie oblige à l’interroger. Voilà un « couple objectivement mixte » qui n’est pas un « couple subjectivement mixte ». L’intérêt de la distinction entre « objectivement et subjectivement mixte » est qu’elle confirme l’appartenance de la catégorie, non au monde du réel, mais au monde de l’imaginaire, de la représentation et des passions.