5.2- Le groupe-sujet

Dans le système-groupe, l'individu dépasse le "soi" pour entrer dans un autre système plus large et global, celui du "groupe".

Diverses théories essaient de définir le groupe par "l'union", "la réalité sociale", "la confession ou la communauté religieuse" (dans le concept de la nation religieuse), etc. Toutes ces définitions ne donnent pas au "groupe" sa caractéristique essentielle, comme "être vivant" dirigé par ses instincts.

Il semblerait que pour les sociologues, le groupe soit un ensemble d'éléments ou d'individus dont le fonctionnement serait similaire à celui d'une ruche ou d'une fourmilière. On peut adopter cette définition dans le régime dictatorial où le système produit des individus en copie conforme. En revanche, la psychologie oeuvrerait, en conséquence, pour étudier "l'individu" comme sujet en soi. L'individu est une cellule vivante, il est la cellule vivante du "groupe". Ajoutons son interaction avec l'environnement naturel.

Le groupe n'a pas de raison, ni d'esprit; il est ce flux d'instincts qu'on nomme "mœurs et traditions". L'esprit de l'individu et la raison de la civilisation se sèment dans le groupe comme les grains de blé dans la terre, pour donner ensuite des épisvivants : les mœurs et les traditions. Ainsi, ces dernières sont les fruits de l'instinct du groupe social.

‘"Un groupe humain est une réalité biologique, sociale, historique" 18 .’

Les travaux de Freud ont apporté un éclairage spécifique, non pas directement sur le groupe, mais sur le fonctionnement d'organisations comme l'Eglise et l'Armée. Son analyse a permis de montrer l'importance des liens affectifs et inconscients qui sont également en œuvre dans les groupes.

Dans ces deux organisations, le chef est une figure idéalisée à laquelle les membres prêtent toutes les qualités tout en s'identifiant à lui. Il s'agit là d'un attachement archaïque, les membres prennent le chef comme leur idéal du moi. Entre les membres se développent des liens affectifs de solidarité et d'égalité, mais également d'ambivalence.

Kaës parle du "sujet-groupe": "Cette dénomination si fréquente du "groupe" comme sujet, doté sinon d'un corps, du moins d'une "psyché", assez imaginatif pour le doter d'un "soma" collectif, est à considérer avec attention. C'est dans les groupes où le processus d'individuation est le plus inhibé que de telles représentations sont les plus significatives et les plus contraignantes" (Kaës, 1988, p.232).

Kaës a même introduit la notion « d’appareil psychique groupal » :

‘"L'appareil psychique groupal est la constitution psychique commune des membres d'un groupe pour constituer un groupe. Son caractère principal est d'assurer la médiation et l'échange de différences entre la réalité psychique dans ses composantes intrapsychiques, intersubjectives et groupales, et la réalité groupale dans ses aspects sociétaux et culturels. Ce concept théorique a pour fonction de rendre compte des transformations psychiques dont les groupes sont les instruments, les supports et les résultats. J'ai voulu rendre compte de ceci : il n'y a pas seulement collection d'individus, mais groupe, avec des phénomènes spécifiques, lorsque s'est opéré entre les individus constituant ce groupe une construction psychique commune comportant un niveau indifférencié et un niveau différencié de relations. Ces deux niveaux de l'organisation psychique sont toujours concernés dans les groupes. Les groupes internes sont toujours mobilisés dans les organisations psychiques groupales. Les fantasmes originaires, les imagos, les complexes ou les systèmes de relations d'objet assurent la structure de base de l'appareillage, par projection, par identification projective et introjective, par identification adhésive ou incorporation, par déplacement, condensation et diffraction. Ma thèse est que l'appareil psychique groupal est étayé positivement sur les formations groupales indifférenciées et différenciées du psychisme de chacun des participants, mais aussi négativement sur le participant absent, plus ou moins fantomatique, et sur les représentants idéalisés ou persécutés de l'Ancêtre fondateur" (KAES, 1993, p.173).’

On considère le groupe comme un ensemble de formes de schèmes et d'appareils propres à contenir, transposer et gérer des formations psychiques. Dans cette perspective, c'est le groupe en tant qu'appareil psychique spécifique qui est retenu. Le groupe est appréhendé comme une instance de nature à créer des phénomènes psychiques propres au groupe, c'est-à-dire communs à ses membres et élaborés par eux. Il existe donc des constructions psychiques groupales dans lesquelles la situation de groupe constitue une structure particulière d'élaboration.

Le groupe peut être considéré comme une formation intermédiaire fondamentale entre « l’intérieur » et « l’extérieur », le sujet et l’institution.

Quand se constitue un groupe, il n’y a pas seulement interactions d’individus mais constitution d’un appareil psychique groupal plus ou moins autonome : l’appareil psychique groupal est la construction commune des membres d’un groupe pour constituer un groupe.

En revanche, il apparaît aussi que le fonctionnement des groupes repose sur une tension dialectique entre la tendance à construire le groupe comme isomorphe à la groupalité psychique, et la tendance à laisser jouer les processus sociaux spécifiques de la réalité sociale.

Notes
18.

Expression dite par D. ANZIEU, dans "Appareil psychique groupal" de KAES, p. 274