5.8.3- Le duel

Les relations entre groupes peuvent être décrites comme compétitives ou coopératives :

Les individus sont des agents rationnels dont le comportement est guidé par la poursuite d'intérêts matériels.

Le conflit surgit seulement dans des conditions où les intérêts des groupes sont incompatibles, c'est-à-dire quand les intérêts de l'endogroupe ne peuvent être atteints qu'aux dépens de l'exogroupe.

Le conflit intergroupe est en partie produit par la rigidité et l'ignorance dues aux stéréotypes sociaux. Afin de réduire ces stéréotypes et d'augmenter la compréhension mutuelle, il serait nécessaire de mettre en contact les membres de l'endogroupe et de l'exogroupe.

Compétition et conflit sont donc dus à des motifs objectifs; ils déclenchent des préjugés et des "biais pro-endogroupes" 22 (l'endogroupe est favorisé par rapport à l'exogroupe).

Une interdépendance négative, caractérisée par le fait que les gains d'un groupe représentent les pertes de l'autre, peut commencer. Ceci entraîne une série de comportements hostiles envers l'exogroupe, accompagnés de la manifestation d'un « biais pro-endogroupe » très prononcé dans les jugements, les attitudes. La vie interne des groupes subit également des modifications : la cohésion augmente.

Les individus s'efforcent d'obtenir ou de préserver une identité sociale positive. Cette dernière s'appuie dans une large mesure sur les comparaisons sociales favorables qui peuvent être faites entre l'endogroupe et l'exogroupe : l'endogroupe doit être perçu comme distinct et positivement différencié des exogroupes.

Aucun groupe ne vit isolément. Chaque groupe tend à se comparer à d'autres groupes et cette "comparaison sociale" a pour effet que la dévalorisation de l'autre est presque toujours corrélative à la valorisation de son propre groupe.

Pour arriver à une identité sociale positive, le groupe d'appartenance doit apparaître différent des autres groupes sur des dimensions jugées positives et importantes par l'individu membre du groupe. C'est par l'intermédiaire de "comparaisons sociales" favorables à l'endogroupe qu'une identité sociale positive peut être établie et maintenue. Plus les membres d'un groupe se comparent favorablement aux membres d'un exogroupe, plus ils bénéficient d'une identité sociale positive. Par contre, les comparaisons défavorables aux membres de l'endogroupe contribuent à une identité sociale négative qui a un effet néfaste sur l'estime de soi des individus en question.

Cette identité sociale négative peut mener à un rejet du groupe d'appartenance comme groupe de référence. L'identité sociale négative peut aussi mener à une surévaluation de l'exogroupe perçu comme ayant la plupart des caractéristiques valorisées socialement.

Si la comparaison sociale est défavorable aux membres de l'endogroupe, ceux-ci peuvent avoir recours à des stratégies individuelles ou collectives pour rehausser leur image de soi :

L'identité sociale positive est liée à un mécanisme de comparaison mutuelle intergroupe. Mais comme chaque groupe a cette même démarche, il s'ensuit une sorte de compétition de groupes pour l'identité positive qui entraîne une situation de rivalité. Toute situation de rencontre entre groupes comporte une part de compétition sociale et risque donc d'engendrer ou de renforcer des phénomènes discriminatoires (stéréotypes, préjugés, dévalorisation, etc.).

La plupart de ces relations intergroupes se vivent entre groupes sociaux dont le pouvoir est inégal. Souvent, ce type de relations intergroupes est perçu comme étant plus ou moins stable et légitime.

Une perception d'une relation intergroupe comme étant instable ou illégitime rend la comparaison sociale entre l'endogroupe et l'exogroupe plus saillante et de ce fait insécurise l'identité sociale des groupes en question. En effet, la discrimination est d'autant plus forte quand les individus membres de groupes de bas et de haut statut perçoivent la situation intergroupe comme étant instable et illégitime.

Les sujets ont tendance à favoriser le membre de l'endogroupe par rapport au membre de l'exogroupe même si cette stratégie sacrifie le profit absolu de l'endogroupe. En d'autres termes, les sujets préfèrent une stratégie qui maximise la différence entre l'endogroupe et l'exogroupe à une stratégie qui maximise le profit absolu de l'endogroupe.

La saillance des appartenances catégorielles induit le besoin d'affirmer une identité sociale positive qui ne peut s'achever que par la différenciation dans la discrimination en faveur des membres de l'endogroupe. Les individus comparent les bénéfices reçus par l'endogroupe à ceux qui sont reçus par l'exogroupe afin d'attribuer une valeur positive à leur identité sociale.

Le « biais pro-endogroupe » peut amener à un conflit quand les membres du groupe défavorisé perçoivent que leur identité négative et la structure sociale dont elle découle sont illégitimes, et quand ils estiment possible de changer cette structure par une action collective. Le conflit peut aussi surgir quand les membres du groupe avantagé voient que la sécurité de leur position sociale est menacée par l'instabilité et l'illégitimité.

Ce biais interviendrait quelle que soit la nature de la ressource à distribuer. Comme la possession des ressources matérielles (argent, propriété, etc.), des ressources symboliques (histoire d'un groupe dans les institutions scolaires et culturelles), et du pouvoir (contrôle militaire ou politique) contribue au prestige de l'identité du groupe, le « biais pro-endogroupe » dans la répartition de ces ressources serait inévitable. Il s'agit d'une grande difficulté d'un partage égalitaire du pouvoir dans un contexte où le « biais pro-endogroupe » serait dominant.

On note que l'égalité met l'accent sur la protection des droits individuels contre la discrimination intergroupe et, par ce fait, déligitimise l'utilisation des traits des groupes comme critère de répartition. L'institution de la protection des droits individuels contre la discrimination est à la base de certains conflits intergroupes; les individus sont jugés et traités seulement selon leurs capacités individuelles.

La plupart des conflits intergroupes se produisent entre des groupes minoritaires et majoritaires qui bénéficient de plus ou moins de prestige social et dont les rapports dominants/dominés sont souvent perçus comme étant plus ou moins stables ou légitimes.

Les groupes dominés sont souvent en confrontation avec des groupes dominants qui veulent préserver la souveraineté, l'unité et l'intégrité de l'Etat aux dépens de la culture du groupe subordonné. Dans ce cas, le groupe dominé réclame l'égalité de son droit à la souveraineté.

Les groupes majoritaires préfèrent la proportionnalité tandis que les groupes minoritaires préfèrent l'égalité dans la distribution du pouvoir. Chaque groupe exprime une préférence pour la règle de justice qui maximise son pouvoir ou minimise son désavantage. Ainsi, le groupe majoritaire choisit la proportionnalité parce qu'elle favorise l'endogroupe tandis que le groupe minoritaire choisit l'égalité parce qu'elle minimise le désavantage de l'endogroupe.

L'accès au pouvoir est déterminé, souvent, selon des principes qui favorisent les majorités. La quantité de pouvoir reçue par un groupe doit être proportionnelle au nombre d'individus qu'il contient. Sans pouvoir, la catégorisation sociale en soit ne permet pas la discrimination.

Le conflit intergroupe est causé par une distribution inégale du pouvoir dans des processus de prise de décision, surtout quand il s'agit de décisions influençant profondément les intérêts et la survie des groupes.

Pour la majorité, il s'agirait ultimement de neutraliser les visées revendicatrices des minorités en expliquant les écarts intergroupes par des différences individuelles, d'effacer les différences intergroupes en faisant comme si tous les individus étaient égaux quelle que soit leur appartenance catégorielle.

Notes
21.

Expression utilisée par Shérif, 1996

22.

Expression utilisée par Shérif