7.5- Pour une mixité non-mixte

L’interculturel se veut précisément, dans un monde inégalitaire, une stratégie :

La perspective d’une société interculturelle permet aux différentes cultures de tenir ensemble, de se situer les unes par rapport aux autres, d’établir entre elles des relations, des échanges, d’amorcer la dynamique évolutive de la société interculturelle.

La nécessité et les conditions d’existence au plan institutionnel de différentes cultures dans un même ensemble social étant admises apparaissent le véritable enjeu d’une société interculturelle : celui de la coexistence et des interpénétrations des différents ensembles culturels.

Enjeu paradoxal puisqu’il s’agit pour chacun des ensembles d’affirmer et de conserver une identité culturelle et en même temps de s’ouvrir à d’autres cultures donc d’accepter de changer, de perdre – en partie – son identité.

Cette ouverture des ensembles culturels en présence n’est possible que sous certaines conditions :

À ces conditions – reconnaissance réciproque des ensembles culturels en présence, affirmation pour chacun d’eux d’une identité culturelle positive – l’ouverture à l’autre, les échanges interculturels pouvant amener de relatives évolutions et transformations réciproques, deviennent envisageables. Avec une condition supplémentaire : c’est que ces ouvertures et ces échanges s’accompagnent d’une réflexion et d’une négociation permanentes dans l’égalité des droits de chacun.

L’interculturel est une façon particulière de vivre avec plusieurs cultures. Il suppose, dans la société et chez l’individu, un certain type de rapport aux cultures, une volonté de surmonter les obstacles de communication qui résultent de la différence culturelle pour profiter, au contraire, des richesses de chacune. Il s'agit d'aller vers un monde moins uniforme et de tirer profit de la diversité humaine. Il ne suffit plus de connaître les différences culturelles; il est devenu important de savoir comment nous et les autres nous situons face à ces différences.

L’interculturel serait une façon particulière d’organiser la société multiculturelle. Là où il y a multiculturalité, il n’y a pas automatiquement interculturalité : une société peut tolérer la juxtaposition de groupes différents qui n’ont aucune interaction institutionnelle entre eux.

Ce n’est pas parce qu’une personne vit dans différentes sphères culturelles qu’elle pratique l’interculturel. Si dans le couple le mari impose sa culture à l'épouse issue d'une autre, on ne peut dire qu'on se trouve en présence d'une interculturalité.

Une société qui intègre les personnes ou les groupes de cultures différentes seulement à condition qu’ils s’assimilent à la culture dominante n’est pas non plus interculturelle.

Personne d’une autre culture : il y a peut-être des choses que j’ai mal comprises. Il s’agit de suspendre son jugement sur le comportement de l’autre. La rencontre avec quelqu’un venant d’une autre culture n’est pas toujours simple.

L’interculturalité consiste à se demander, chaque fois que la communication passe mal, quel cadre culturel nous reste à décoder. Le franchissement de cet obstacle est source d'enrichissement, mais aussi d'insécurité. L'insécurité résulte de la prise de conscience de la relativité de sa propre vision du monde et sa façon d'agir. L’interculturel représente la capacité et la volonté de relativiser ses propres cultures et de les enrichir au contact d’autrui.

Tout le monde est conscient de l’existence de différences culturelles, mais pour autant tout le monde n’est pas conscient de sa propre programmation culturelle. On ne peut fréquenter les personnes d’autres cultures sans parfois se dire : comment se fait-il qu’elles n’adoptent pas nos façons de voir ou de penser, tellement plus raisonnables et efficaces ?

‘«Dans la communication interculturelle, les représentations jouent un rôle plus important que dans la communication avec des personnes de même culture. Elle implique que l’on soit particulièrement attentif à ses propres préjugés. Ce qui fait obstacle à la communication, ce n’est pas tant d’en avoir que de ne pas vouloir les reconnaître et de ne pas les connaître. Le racisme et la xénophobie ne résident pas dans le fait d’avoir des préjugés et des stéréotypes, mais dans le refus de s’en débarrasser » (VERBUNT, p.251). ’

La communication interculturelle invite à la négociation. Celle-ci ne signifie pas abandon de valeurs ou de principes, mais volonté de résoudre au mieux une situation où plusieurs principes entrent en concurrence. Il s'agit de bien savoir ce que chacun veut, ce qu'il cherche, et de trouver la voie la plus appropriée pour avancer.

La stratégie interculturelle plonge les individus dans une interaction ouverte vers la connaissance et la reconnaissance de l'autre.

En effet, le mariage mixte ne constitue-t-il pas le signe le plus manifeste qu’on puisse trouver de l’interpénétration et de la communication entre les groupes, et le choix de l’autre comme partenaire matrimonial ne représente-t-il pas le plus haut degré d’acceptation mutuelle ?

Cette théorie de la "stratégie interculturelle" nous introduit dans le cœur de cette recherche; elle nous sollicite à chercher minutieusement – au sein des couples libanais chrétiens/musulmans – les traces de telle stratégie dans leur vie conjugale plongée dans un environnement multiconfessionnel.

En conclusion, le Liban - la « nation naturelle » - est entièrement baigné dans le confessionnalisme. L'islam et le christianisme sont les deux religions principales du pays. Les catégories religieuses sont bien marquées; l'appartenance confessionnelle est presque inévitable pour une meilleure reconnaissance sociale; l'identité confessionnelle reste le passeport intra-patriotique : les Libanais se reconnaissent chrétiens ou musulmans avant d'être Libanais.

L'histoire des relations entre les diverses communautés du Liban a bien marqué les relations intercommunautaires qui étaient des relations mouvantes, malgré leur "homogénéité" naturelle. La catégorisation confessionnelle, qui divise les Libanais en groupes religieux, rend les relations intercommunautaires délicates et même difficiles, et notamment au niveau du secteur privé : le mariage.

A ce stade de la réflexion, il convient maintenant d’étudier de près la vie quotidienne et intime des ménages libanais chrétiens/musulmans enquêtés, afin de repérer les stratégies qu'ils adoptent pour confronter leur divergence culturelle et religieuse.