9.2.2.1- La paralysie

"Mes parents et mes six frères ont réalisé qu'ils étaient toujours contre notre mariage et cela fait presque dix ans que mes parents ne m'ont pas adressé la parole" (Ghina, musulmane, 32 ans).

Tableau n˚21- Répartition de la population selon le nombre d'années de mariage et le temps pris pour la réconciliation avec la famille.
Tableau n˚21- Répartition de la population selon le nombre d'années de mariage et le temps pris pour la réconciliation avec la famille.

38.6% de la population enquêtée ont vécu une rupture d’au moins un an avec leur famille et/ou leur belle-famille suite à leur mariage avec un partenaire d'une autre religion; 14.8% une rupture de plus qu'un an; 19.9% n'ont pas vécu de ruptures avec leurs familles, parents, frères et sœurs - ce qui n'empêche pas la présence des conflits passagers - mais seulement avec des personnes de la famille élargie (tantes, oncles, etc.). 12.5% ont préféré ne pas répondre à cette question : s'agit-il d'une profonde blessure auquelle on ne peut pas toucher ?

Il est important de noter que 10.2% de la population sont toujours en rupture avec leurs familles dont 4% ont 11 ans et plus de vie conjugale, ce qui pousse à se demander s'il s'agit d'une rupture définitive.

Les parents s'opposent au mariage, mais les époux (mixtes) s'engagent malgré tout, dans l'espoir que leur ténacité fera abdiquer ou revenir les parents. Ceux-ci restent enfermés dans leur opposition. Les parents ferment leur porte et ne reçoivent pas le couple. Certains reçoivent leur enfant mais en aucun cas son conjoint. L'enfant finit par se fâcher et cherche de moins en moins à les revoir.

" Jusqu'aujourd'hui, mes parents refusent de me parler et surtout mon père… nous avons essayé, mon mari et moi, plusieurs fois de nous rapprocher d'eux, ils refusent catégoriquement la réconciliation; ils sont toujours contre notre mariage" (Rana, chrétienne, 35 ans).

Dans certains cas extrêmes, le fils ou la fille coupe les ponts et abandonne sa famille. Certains parents créent par leurs oppositions des difficultés aux enfants, difficultés qui finissent par détériorer les liens entre les époux, et les conduisent au divorce. Les parents le font d'ailleurs dans l'espoir de voir leur enfant se remarier avec une personne de leur culture.

"J'ai épousé Kamal : chrétien comme son père, sa mère est musulmane. Ça fait 7ans que je suis avec lui. Nous avons fait un mariage chrétien (rite maronite). Nous avons eu un garçon (chrétien). Sa mère était contre notre mariage et elle l'est toujours. Elle voulait que son fils se marie avec une musulmane. Elle a promis de nous séparer un jour. Aujourd'hui, elle a réussi à réaliser ce qu'elle voulait. Mon mari s'est remarié avec une musulmane depuis cinq mois" raconte Yvette – femme chrétienne de 40 ans.

Dans certains cas, nous remarquons le pouvoir du frère aîné sur sa sœur - servant de substitut au père – frère qui n'hésite même pas à exercer des violences – physiques ou morales – sur sa sœur. Ghina – femme musulmane de 32 ans - raconte une scène qu'elle a vécue dans la rue :

"Un jour, mon frère nous a aperçus et nous a suivis; j'étais dans la voiture avec Elie. Il nous a arrêtés et m'a obligée à rentrer avec lui. C'était une période affreuse pour nous deux. Elie ne supportait pas l'idée de me perdre, il nous a même menacés (mes parents et moi) de se suicider. Face à cette situation compliquée, mes parents ont été obligés de « jeter du lest », il est honteux de ne pas marier sa fille à un jeune homme après tant de sorties ! (dans la même voiture).

Ces chiffres et ces témoignages nous donnent une image claire de l'attitude négative d'un grand nombre des familles face au mariage mixte chrétien/musulman de leurs enfants. Les réactions parfois violentes des familles peuvent affecter la vie des enfants pendant de longues années.

"Aujourd'hui, après presque treize ans de mariage, je vis une très belle vie avec mon mari et mes enfants. Nous avons beaucoup d'amis. Je suis très heureuse dans ma vie. Mes enfants sont parmi les premiers à l'école et ils sont bien appréciés. Je vis avec mon mari dans un amour éternel qui nous lie pour toujours.

Cependant, il y a une seule chose qui me fait souffrir, c'est l'éloignement de mes parents de moi. Si mon rêve – de me réconcilier avec mes parents – se réalise un jour, je serai la femme la plus heureuse du monde; parce que mon mari m'aime beaucoup, il aime ses enfants et il nous respecte beaucoup; nous éprouvons aussi le même « ressenti" envers lui » (Rana).

Le dialogue, parent-enfant, est presque absent, chacun des deux partis tient à sa position et à ses idées. Les parents utilisent leur pouvoir parental - leur autoritarisme parental – pour amener les enfants à respecter les valeurs relevant de l'identité religieuse; or les enfants sont dans l'incapacité de comprendre l'attitude raciste de leurs parents, attitude qui les empêche de vivre leur bonheur et leur droit à choisir librement leur destinée.

Le mariage mixte introduit souvent dans les familles de tels affrontements pareils opposant les parents, animés par la volonté de maintenir les traditions, aux enfants, et particulièrement les filles, qui luttent pour s’en libérer.