9.2.2.2- Le tabou

Le mariage mixte chrétien/musulman est interprété comme une transgression religieuse. Donner son enfant, et surtout sa fille, à un « étranger » s’apparente à une trahison sociale, et met en cause sa propre capacité à rester fidèle à son groupe et à soi-même.

On n’attend pas du gendre étranger qu’il embrasse la culture et la religion de son épouse, ni qu’il fasse siens les intérêts familiaux du groupe de ses beaux-parents, on ne s’attend guère à le voir renoncer au privilège de transmettre à sa descendance ses propres traditions familiales.

Les conjoints des couples mixtes ne sont pas confrontés seulement à leurs « différences culturelles », ils doivent aussi nécessairement gérer d’une manière ou d’une autre ce rapport de domination entre leurs groupes d’origine. Toutes les décisions qui rythment la vie familiale sont pour eux l’occasion de se situer face aux exigences contradictoires de leurs lignées respectives. En quel rite religieux célébrer le mariage ? Quels prénoms donner à nos enfants ? Les filles seront-elles voilées ? Les enfants seront-ils baptisés ?

Les réponses constituent autant de déclarations publiques sur l’état du rapport de forces entre deux lignées et, à travers elles, deux cultures. Les décisions relatives à la socialisation et à l’éducation des enfants, parce qu’elles sont au centre des stratégies de reproduction des identités familiales, prennent une importance accrue.

En dépit du mythe de l’amour qui renverse les barrières, le mariage mixte n’a pas toujours le pouvoir d’abolir les clivages entre les groupes dont il peut à l’inverse répercuter les effets. Le désaccord entre les parents mixtes trouve un puissant écho dans l’opposition entre deux traditions culturelles.

Dans le mariage mixte, à travers les deux individus qu’il unit, existe le problème des rapports des deux groupes auxquels ils appartiennent, rapports dont l’enjeu central est le fruit de la génération suivante, donc du devenir du groupe. La trahison est ici incontournable, et sa dénégation irrecevable, puisque dans un système culturel qui ne reconnaît que la lignée paternelle, les enfants d’un étranger, sont des enfants qui appartiennent et qui ressemblent au groupe de leur père, donc des étrangers pour soi-même et pour son propre groupe.