10.4.3- « Préservatif ou biberon »

‘« Le mariage mixte est tout d’abord mariage et, de ce point de vue, il est problématique sexuelle… Le mariage ayant une fonction de reproduction et de conservatisme sociaux, le mariage mixte est considéré comme déviant, « hors des normes », « qui ne suit plus les règles du jeu » sociales. L’union mixte subit donc souvent un rejet, latent ou manifeste suivant les sociétés, comme tous les faits déviants » (KRZYWKOWSKI, 1974, p.119).’

En fait le mariage mixte nous semble différent du mariage « courant » dans la mesure où il lie deux individus qui sont perçus comme différents, mais aussi parce que le conjoint est d’une certaine façon interdit.

La qualité de la relation dans le couple – et précisément dans notre recherche, le couple mixte chrétien/musulman – influence grandement la qualité de la vie sexuelle. En effet, il est rare que des gens, qui se détestent ou qui sont en colère l'un contre l'autre, puissent vivre ensemble une sexualité satisfaisante. Il est difficile de séparer une relation de couple satisfaisante et une sexualité satisfaisante. Si l'une ou l'autre de ces dimensions est affectée, l'autre ne tardera pas à l'être aussi.

La question du partage du pouvoir à l'intérieur du couple est très importante. En effet, la façon dont le pouvoir est partagé dans le couple et le degré de satisfaction des conjoints dans ce partage vont avoir des répercussions dans le vécu de leur sexualité.

Au Liban, malgré la revendication du couple à l'autonomie, la sexualité du couple ne relève pas exclusivement de l'affaire intime du couple - comme le mariage d'ailleurs. Plusieurs facteurs entrent en jeu pour influencer la vie intime du couple, et précisément le couple chrétien/musulman : l'intervention de la famille, des normes religieuses… on intervient sans discrétion: "c'est le bon moment pour avoir un enfant" dit une voisine ; "utiliser les moyens contraceptifs est un péché ; les deux religions – le christianisme et l'islam – sont contre ces moyens artificiels de contraception" déclare un chef religieux à un couple marié.

L’un des objectifs du mariage que ce soit chrétien ou musulman est d'avoir des enfants. Les milieux religieux musulmans et chrétiens sont en règle générale opposés à la limitation des naissances. Le mari a le plein droit de refuser à sa femme le recours aux moyens contraceptifs.

Le couple se trouve donc, consciemment ou inconsciemment, devant une pression sociale qui pèse sur son fonctionnement, notamment si l'un des partenaires est croyant et l'autre pas trop.

Comment les enquêtés gèrent-ils ces questions dans leur vie conjugale la plus intime ? Il s'agit des questions qui relèvent d'un sujet tabou auquel il est très difficile parfois de répondre.

Tableau n°44- Répartition de la population masculine selon l'usage des moyens contraceptifs
Tableau n°44- Répartition de la population masculine selon l'usage des moyens contraceptifs

68.2% des hommes enquêtés n'utilisent pas les moyens contraceptifs, 27.3% les utilisent.

Tableau n˚45- Répartition de la population féminine selon l'usage des moyens contraceptifs
Tableau n˚45- Répartition de la population féminine selon l'usage des moyens contraceptifs

Plus de la moitié des femmes enquêtées n'utilisent pas les moyens contraceptifs. Certains enquêtés ont précisé qu'ils ne les utilisent pas par crainte d’une stérilité dans le couple, ou bien parce qu'ils sont carrément contre. 40.9% utilisent ces moyens contraceptifs.

Nous remarquons que c'est souvent la femme qui utilise les moyens contraceptifs dans le couple, étant la plus concernée dans le domaine de la régularisation des naissances.

Ces chiffres indiquent une certaine libération d'un nombre important de couples par rapport aux normes religieuses qui tentent de gérer leur sexualité. Malgré l'appartenance religieuse de la majorité des enquêtés, l'usage des moyens contraceptifs - condamné par les deux religions, chrétienne et musulmane - est adopté par un nombre important des partenaires enquêtés.

Comment ce sujet des moyens contraceptifs – qui incarne tout un système de valeurs – est-il géré au sein du couple des enquêtés, notamment, s'il existe une divergence d'opinions à ce niveau ?

Tableau n˚46- Répartition de la population masculine selon la fréquence des conflits dans le couple au sujet des moyens contraceptifs
Tableau n˚46- Répartition de la population masculine selon la fréquence des conflits dans le couple au sujet des moyens contraceptifs

90.9% des hommes ne rencontrent pas de difficultés dans leur couple au sujet des moyens contraceptifs, seulement 2.3% ont déclaré la présence de conflits dans leur couple à ce sujet. Cependant, 6.8% ont gardé le silence.

Tableau n˚47- Répartition de la population féminine selon la fréquence des conflits dans le couple au sujet des moyens contraceptifs
Tableau n˚47- Répartition de la population féminine selon la fréquence des conflits dans le couple au sujet des moyens contraceptifs

87.9% des femmes ne rencontrent pas de difficultés à ce niveau dans leur couple, 5.4% signalent des difficultés à des degrés différents. On note les 6.8% qui ont préféré ne pas répondre à cette question.

Devant ces chiffres plus ou moins importants qui indiquent cette entente conjugale par rapport au sujet de moyens contraceptifs, nous allons nous interroger si c'est la référence, ou la non-référence, à la religion par les deux partenaires du couple qui crée cette ambiance d'entente ou bien s'il s'agit d'un partenaire qui domine et l'autre qui soumet. Nous ne pouvons pas nier que parler de la sexualité de son couple est un sujet encore tabou, dans la société libanaise, une cause qui a poussé, peut-être, certains couples à idéaliser leur vie sexuelle pour éviter d'en parler.