10.7.4- A table

L’alimentation touche à quelque chose de très profond de notre être. C’est une partie de notre culture, c’est l’enfance aussi, le lien avec la mère.

"Le ventre est la clé du cœur", voici un proverbe libanais populaire qui montre à quel point le "culinaire" peut être un atout dans les relations humaines. Goûter la cuisine d'une autre culture différente et l'apprécier peuvent être un premier pas pour découvrir, entrer et s'intégrer à cette culture. Par contre une différence culinaire non appréciée peut être une cause d'inadaptation, similaire à une mauvaise intégration. Apprécier ou non une habitude culinaire différente dépend largement de son histoire personnelle et collective.

Tableau n˚63- Répartition de la population selon la religion et la différence culinaire entre les deux familles
Tableau n˚63- Répartition de la population selon la religion et la différence culinaire entre les deux familles

Ce tableau met en relief une image claire du processus de catégorisation sociale. Malgré la proximité géographique - parfois même la mixité géographique - entre les deux populations musulmanes et chrétiennes, 53.4% des enquêtés trouvent une différence culinaire entre les plats de leur propre famille et ceux de leur belle-famille dont 10.2% trouvent une différence énorme. Cependant presque 45% ne trouvent aucune différence : ils parlent plutôt du "repas libanais", unique, partout dans les régions libanaises.

Peut-on voir, dans ces attitudes de familiarité ou d'étrangeté en ce qui concerne les habitudes culinaires de la communauté du conjoint, des indicateurs de la propension, plus ou moins grande, à s'intégrer dans sa communauté "étrangère" ?

Manger pour la première fois un plat étranger peut avoir l'attrait de la nouveauté, mais la répétition d'une nourriture étrangère imposée au corps, sans rappel à la nourriture originelle, peut consciemment ou inconsciemment frustrer cet individu et aboutir à une légère perte d'identité. Cette expérience est celle de certains enquêtés qui ont exprimé avec amertume : "Je déteste leur cuisine, leurs aliments cachère me dégoûtent" (femme chrétienne); "La cuisine de ma mère me manque souvent" (homme musulman); "Je ne mange pas chez eux" (homme chrétien).

Nostalgie du repas de la mère… cela peut aller jusqu’au racisme.

Le « cachère » dans le repas musulman est mal apprécié par cette chrétienne : c'est l’indice d’un manque de civilisation et de fermeture d'esprit. Voici une expression qu'on entend souvent répétée par certains chrétiens du Liban : "Un petit verre, ce n'est pas la mer à boire". En parallèle, on entend des musulmans qui « balancent » leurs reproches aux chrétiens qui consomment de l'alcool.

Les chiffres présentés ci-dessous qui mettent en relief une différence énorme entre les mets musulmans et chrétiens - dans un tout petit pays comme le Liban - cachent un racisme qui porte un jugement aveugle sur les interdictions alimentaires de l'autre religion.

Dans le couple, vivre une telle situation de rejet de l'alimentation de la famille du conjoint, peut nuire à la relation du couple. C'est difficile d'apprécier le conjoint « dégoûté » devant les plats préparés par la personne la plus chère (normalement) : "notre mère".

Le problème prend même une dimension plus large : critiquer l'alimentation de sa famille, c'est critiquer toute sa communauté culturelle. Ainsi, ce plat – préparé normalement pour se nourrir – pourrait se transformer, ainsi, en ingrédients de racisme et de non-tolérance.