11.3.1.1- Le prénom « passe-partout »

"Nous avons choisi un prénom neutre (Chérella), qui passe dans les deux communautés, chrétienne et musulmane" (Boutros).

Lorsque deux cultures rivalisent dans la même famille, les prénoms donnés aux enfants peuvent être analysés par rapport à la volonté de transmettre l’identité de la famille d’un côté plutôt que de l’autre, ou au contraire une volonté de créer une sorte d’identité syncrétique. Enfants qui ont des prénoms « passe-partout », c’est-à-dire pouvant s’en référer aussi bien à la religion du père qu’à celle de la mère.

La recherche d’un prénom « passe-partout » constitue l’une des possibilités de ruser avec la double exigence de l’invisibilisation et de l’affirmation ethnique. Le choix du prénom est guidé par ce souci de neutralité religieuse.

Un procédé consiste à tirer parti de la proximité phonique entre un prénom français (à connotation chrétienne) et un prénom musulman. Rémi qui est un prénom fréquemment choisi pour les garçons se transforme aisément en Rahmi ; Cédric en Sadri.

On peut aussi exploiter la proximité phonique en ajoutant un suffixe français à un prénom arabe : le prénom Maya, par exemple, sera Mayaline.

On peut aussi établir l’équivalence, non pas à partir de la proximité phonique mais de la correspondance symbolique, lorsque le même prénom existe sous des formes différentes dans les deux religions : c’est le cas pour Marie en Myriam ou Meriem.

Cette volonté de neutraliser, par le choix du prénom, des influences socialisatrices contradictoires ou même antagoniques, conduit certains parents à s’orienter vers une troisième catégorie, ni chrétienne ni musulmane. Le choix d’un prénom anglo-saxon remplit le plus souvent cette fonction (Roy, Jeff, Sandy, Caren, etc.).

En revanche, nous remarquons que dans certaines familles, des enfants ont des prénoms "passe-partout", d'autres des prénoms typiquement religieux: musulmans ou chrétiens. Prenons par exemple le prénom de ces enfants du même couple :

Mohamed et Ali (à connotation religieuse)

Myriam, Toufic, Salim, Hadi et Wadiaa (prénom passe-partout).

Cependant, même avec un tel compromis, on pressent une certaine domination d'une culture par rapport à une autre, étant donné l'absence des prénoms appartenant à la culture dominée.

Mais en dépit du recours général chez les couples mixtes de ces techniques de neutralisation, le prénom attribué à l’enfant témoigne toujours de la forme particulière que prend dans chaque couple mixte la combinaison de ces deux stratégies opposées : celle de l’invisibilisation et celle de l’affirmation religieuse.

La double contrainte de l’invisibilisation ou de l’affirmation peut être assumée solidairement par les époux du couple mixte comme une nécessité découlant de leur situation familiale particulière : éviter à l’enfant le port d’un prénom marqué l’exposant au racisme, ou bien donner à l’enfant un prénom marqué afin de ne pas le couper de la moitié de son héritage culturel et de lui permettre d’être admis comme un membre à part entière du groupe familial.