11.6- L'école

L'école est considérée comme la deuxième grande institution de socialisation de l'enfant, bien après la famille. On donne une priorité au rôle de socialisation de l'école par rapport à la transmission des connaissances. Ce que l'on appelle socialisation est le fait d'apprendre un certain nombre de règles de vie en commun, d'adopter des valeurs, les valeurs de la société extérieure à l'école.

Quand on discute des questions touchant l'école, il ne faut jamais oublier que cette institution baigne dans une société. Ainsi, choisir l'école à notre enfant n'est pas si simple pour les parents. Il s'agit de choisir un système éducatif précis dans lequel l'enfant va grandir et en conséquence l'adopter. Que dit-on alors pour un couple mixte chrétien/musulman où deux religions se confrontent ?

Comment les enquêtés gèrent-ils cette problématique ?

Tableau n˚78- Répartition de la population masculine selon la religion, le lieu de résidence du couple et le choix de l'école des enfants
Tableau n˚78- Répartition de la population masculine selon la religion, le lieu de résidence du couple et le choix de l'école des enfants

Parmi les hommes musulmans enquêtés qui résident en couple dans une région musulmane, 50% scolarisent leurs enfants dans une école musulmane, 25% dans une école qui enseigne les deux religions, 12.5% dans une école chrétienne et 12.5% dans une école officielle.

Parmi les musulmans, résidant en couple dans une région chrétienne, 33.3% scolarisent leurs enfants dans une école chrétienne, 33.3% dans une école qui enseigne les deux religions et 22.2% dans une école publique. Notons que personne d’entre eux ne scolarise ses enfants dans une école musulmane.

Parmi ceux qui résident dans une région mixte, 66.7% scolarisent leurs enfants dans une école qui enseigne les deux religions et 33.3% dans une école publique.

Parmi les hommes chrétiens qui résident en couple dans une région mixte, 50% scolarisent leurs enfants dans une école chrétienne et 50% dans une école laïque.

Parmi ceux qui résident en couple dans une région chrétienne, 52.6% scolarisent leurs enfants dans une école chrétienne, 10.5% dans une école laïque, 10.5% dans une école qui enseigne les deux religions et 5.3% dans une école musulmane.

Tableau n˚79- Répartition de la population féminine selon la religion, le lieu de résidence du couple et le choix de l'école des enfants

Parmi les femmes enquêtées musulmanes qui résident en couple dans une région chrétienne, 73.9% scolarisent leurs enfants dans une école chrétienne qui enseigne la religion du conjoint et 15.2% dans une école laïque et 6.5% dans une école qui enseigne les deux religions. Notons que les enfants de toutes les femmes musulmanes qui résident dans une région musulmane sont scolarisés dans une école chrétienne.

Parmi les Musulmanes qui résident dans une région mixte, 77.8% scolarisent leurs enfants dans une école chrétienne et 22.2% les scolarisent dans une école laïque.

Parmi les femmes chrétiennes qui résident en couple dans une région musulmane, 30% scolarisent leurs enfants dans une école chrétienne ; 16.7% dans une école musulmane ; 23.3% dans une école qui enseigne les deux religions et 20% dans une école laïque et 3.3% dans une école officielle.

Parmi les femmes chrétiennes qui résident dans une région chrétienne, 46.2% scolarisent leurs enfants dans une école chrétienne ; 38.5% dans une école qui enseigne les deux religions et 7.7% dans une école laïque.

Parmi celles qui résident dans une région mixte, 31.6% scolarisent leurs enfants dans une école chrétienne, 31.6% dans une école laïque, 21.1% dans une école qui enseigne les deux religions, 10.5% dans une école qui enseigne la religion du conjoint.

Ces chiffres dévoilent les rapports de force qui circulent au sein des couples des enquêtés au sujet du choix de l'école de l'enfant.

Nous constatons que les épouses musulmanes se détachent presque complètement de leur religion en ce qui concerne le choix de l'école des enfants. Aucune épouse musulmane, parmi les femmes enquêtées, ne scolarise ses enfants dans une école musulmane. C'est la religion de l'époux chrétien qui domine à ce niveau.

Par contre, les épouses chrétiennes s'affirment plus à ce niveau. Elles sont très peu nombreuses celles qui scolarisent leurs enfants dans une école musulmane. Il s'agit d'un choix éducatif décidé, quelle que soit la proximité géographique de l'école.

Quant aux hommes, la moitié des époux musulmans, qui résident dans une région musulmane, tiennent à l’école musulmane. Ceux qui sont ailleurs font des compromis : soit une école publique (à connotation religieuse très faible), soit une école qui essaie de tenir la balance entre les deux religions.

Les époux chrétiens, quant à eux, suivent souvent les deux extrêmes : soit une école chrétienne à tout prix, soit une école laïque. Ils sont très peu nombreux qui acceptent l'éducation musulmane pour leurs enfants.

Le choix de l'école est un des sujets auquel le couple mixte donne une grande importance. Ainsi, il semble important de connaître l'opinion des dix-neuf couples enquêtés sur ce sujet. Ils ont répondu à la question suivante :

Vous avez choisi ou vous souhaitez choisir l'école de vos enfants qui enseigne :

a) votre religion

b) la religion de votre conjoint

c) les deux religions

d) autre religion

e) aucune religion

f) autres

g) sans réponse

Tableau n˚80- Opinions des 19 couples enquêtés au sujet du choix de l'école des enfants
Tableau n˚80- Opinions des 19 couples enquêtés au sujet du choix de l'école des enfants

8 (ab) : Parmi 8 couples sur 19, l'homme et la femme scolarisent ou bien comptent scolariser leurs enfants dans une école qui enseigne la religion de l'homme. Ce chiffre nous met, et pour la deuxième fois, devant une femme qui sacrifie sa religion au profit de celle de l'homme. Cette attitude des femmes reflète-t-elle une conviction ou une soumission ? Parfois, l'ampleur des pressions pousse l'un des conjoints à abandonner sa foi, la pratique de sa religion, ainsi qu'à renoncer à l'éducation religieuse des enfants.

3 (ba) : Parmi 3 couples sur 19, l'homme musulman choisit l'école qui enseigne la religion de sa femme. Il nous semble dans ces couples que la femme est dominante dans le domaine de l'éducation de l'enfant, son rôle de femme-éducatrice est bien respecté dans le couple. À savoir aussi si elle n'a pas étudié elle-même dans une école chrétienne ? Avec le choix de l'école pour ses enfants, elle essaie de leur transmettre sa propre éducation.

3 (2c) : Parmi 3 couples sur 19, les partenaires choisissent l'école qui enseigne les deux religions équitablement. Cependant, nous demandons si dans la réalité concrète, l'éducation des deux religions existe dans les écoles libanaises, ce qui est loin pour le moment d'être vrai. C'est plutôt un souhait chez ces trois couples mixtes.

Les récits de vie et les résultats obtenus reflètent la supériorité supposée des chrétiens par rapport aux musulmans. L'histoire du Liban nous montre clairement cette attitude chrétienne superlative, expliquée par l'ouverture des chrétiens (et surtout les maronites) à l'Europe. Cette ouverture au monde européen donne aux chrétiens ce sentiment de supériorité qui se traduit clairement dans le vécu des couples. La belle-fille musulmane est souvent difficilement acceptée par sa belle-famille chrétienne; et la belle-fille chrétienne a beaucoup plus de difficultés de s'adapter au milieu musulman de sa belle-famille.

Les chrétiens sont convaincus que leur culture est plus avancée, donc supérieure à celles des musulmans. Ils ont tendance à considérer que les valeurs des coutumes musulmanes sont arriérées et périmées dans un monde moderne comme celui-ci.

En revanche, il y a une zone assez importante pour tout ce qui est commun en particulier dans le domaine de l'éducation. Bien sûr, les communautés tiennent à avoir leurs propres écoles, pour éduquer leurs propres enfants. Mais les programmes de ces écoles sont semblables, ils préparent le même diplôme. De plus, il n'est pas rare que les écoles dirigées par les religieuses, aient une majorité d'élèves musulmans. Les parents apprécient le sérieux de ces écoles. Il n'y a donc pas une frontière importante, bien qu'il soit vrai qu'à l'inverse très peu de parents chrétiens envoient leurs enfants dans une école musulmane.

Quelle que soit l'école choisie pour l'enfant, l'intégration de l'enfant dans la vie scolaire est un facteur essentiel dans sa socialisation. À l'école, il tisse, de plus en plus, des liens sociaux avec des camarades.