12.1- L'asphyxie

Dans les sociétés traditionnelles, le mariage est plutôt une alliance entre deux familles, et la nature de la relation entre les deux époux est subordonnée à cet intérêt collectif. Les parents sont souvent récalcitrants parce qu’ils ont l’expérience des échecs, souvent très douloureux, d’engagements mal préparés. La forte implication de familles entières dans le mariage d’un de leurs membres fait que le partenaire doit savoir qu’il n’épouse pas seulement une personne, mais précisément toute sa famille.

L'enquête sur terrain a révélé une réalité souffrante de vie de couple. Les enquêtés souffrent de l'intrusion de l'entourage dans leur vie privée. Dès le début de l'histoire amoureuse, les pressions familiales et sociales les empêchent de vivre et de décider leur vie seuls. Tout le monde est concerné et presque tout le monde est contre cette cellule familiale mixte. Les conflits de l'histoire communautaire au Liban se répètent à chaque instant de leur vie de couple.

Ce mariage, jugé par son entourage comme hors norme, voire anormal, aura des effets sensibles sur le couple, qu’il le veuille ou non.

Mais tous les couples ne réagissent pas de la même manière à ces réactions du milieu. Tous les couples présentant des critères « objectifs de mixité » ne le ressentent pas comme une spécificité importante de leur existence, d’une part parce que le terme « mixte » renvoie aux représentations, variables, de la notion du proche/lointain, d’autre part, parce que les dimensions « mixtes » ne doivent pas cacher les autres éléments de rapprochement qui ont présidé aux rencontres.

Un certain nombre de couples ne souhaitaient pas être interviewés dans le cadre d’une étude sur les mariages mixtes. Quand on leur a demandé "pourquoi", ils disent que leur couple, même s’il peut être appelé « mixte », ne l’est pas grâce à leurs intérêts communs. L’écoute des enquêtés m'a apporté ainsi des données qui ne vont pas toujours dans ce sens, en particulier lorsque les conjoints sentent leur identité personnelle menacée dans la vie commune avec un étranger et qu’ils vivent leur union « mixte » de manière conflictuelle ou revendicatrice.

Certains se révoltent contre cet holisme social aveugle et réclament leur individuation. Pour eux, personne n'a le droit de gérer leurs affaires et de décider à leur place, les parents inclus. Respecter ses parents ne vaut pas dire leur être soumis et les laisser intervenir dans sa vie privée. Ces enquêtés "valorisent l'esprit aux dépens de la lettre".

Ces attitudes libératrices qui refusent toute tutelle et qui valorisent "l'individu" au détriment du "groupe", forgent un nouveau trajet vers le "je", ceci dans la société libanaise.