12.5- Rapports de forces

Compromis ou dominance ? Il nous semble que certains enquêtés suivent, dans une certaine mesure, une tendance moderniste, consistant à œuvrer vers un modèle coopératif et non-compétitif. Ceci ne signifie pas pour autant que les comportements traditionnels de dominance masculine et de ségrégation des rôles aient disparu.

‘"Nier la différence revient à prôner un discours identitaire et accentuer la différence contribue à enfermer autrui dans une infranchissable altérité synonyme d’un rejet. Toute différence est perçue comme menace et suscite des réactions de défense qui s’actualisent souvent, soit dans des attitudes agressives soit, dans une volonté de dénégation et des réactions en chaîne qui tendent à camoufler l’altérité au fur et à mesure qu’elle surgit dans le champ de l’expérience » (ABDALLAH-PRETCEILLE, 1996, p.63).’

Toute une complexité de perceptions des différences transparaît à travers la subjectivité de chaque partenaire, modelée par son niveau social d'éducation et par la nature du rapport qui le lie plus ou moins fortement à son groupe et à celui de son partenaire.

Les partenaires du couple mixte savent, au début de leur union, que des différences objectives existent, mais ils n'ont pas toujours mesuré l'importance qu'elles pouvaient prendre à certains moments.

Dans les mariages mixtes chrétien/musulman, les enjeux conflictuels au sujet de l'appartenance culturelle, voire religieuse – deviennent de plus en plus transparents grâce aux signes culturels visibles comme les choix du prénom, de l'école et autres… Les parents sont appelés à effectuer des choix qui orienteront l'appartenance culturelle de l'enfant, son adhésion à l'un ou l'autre système représenté par chaque parent ou bien les parents adopteront une attitude de compromis.

Le couple mixte pourvu d’enfants crée un espace éducatif qui est le résultat de réflexions, d’influences, de conflits, de rapports de force peut-être, dans tous les cas un compromis, quelque chose de nouveau par rapport aux deux cultures d’origine et quelque chose d’important pour le couple.

L’éducation des enfants comportera toujours, consciemment ou non, une transformation de la rivalité historique des deux religions.

Le prénom pouvait indiquer une certaine volonté de bi-appartenance ou de relative distance ou encore d'internationalisme prononcé. Mais plus difficile sera à prendre la décision de faire baptiser l'enfant pour un conjoint chrétien ou encore de voiler la fille pour un conjoint musulman.

Attribuer des prénoms « passe-partout », mélanger les styles culinaires, etc. peuvent également signifier une volonté de partage. Le mariage dit mixte peut être très enrichissant. Dans le mariage, l’altérité est une dimension importante et contribue au bon déroulement d’une vie commune. Les époux doivent savoir qu’ils vont être « bousculés » dans leurs idées préconçues et qu’il faudra souvent expliquer pourquoi des mésententes se sont produites. Ils seront amenés à prendre conscience que le franchissement de ces obstacles est une aventure passionnante.

En revanche, la domination paternelle s'exprime clairement dans la transmission à l’enfant des éléments d'identité et notamment de sa religion. La domination paternelle se traduit donc dans la réalité, tandis que la dominance maternelle se résout par un compromis égalitaire et non point par une dominance réelle. Alors, si cette prééminence paternelle disparaît ou diminue, ce n'est pas au profit de celle de la mère, mais pour céder la place au compromis entre les deux.

Certaines femmes enquêtées pratiquent seules leur religion ou rarement dans leur communauté religieuse. Face à l'attitude dominante du conjoint, elles se trouvent dans l'obligation de vivre et de transmettre implicitement et en cachette leur religion. Vivre librement leur espace culturel, dans leur foyer conjugal, leur manque énormément. Pour ne pas se détacher complètement de leur religion, elles ont recours à "l'alternance systématisée des codes" : elles célèbrent leurs fêtes religieuses chez les parents.

Certains époux, par "manipulation égocentrique des codes", obligent leurs femmes à se convertir à leur religion, bien qu’ils aient donné leur parole – avant le mariage - de leur laisser la liberté de choix.

En revanche, certains époux choisissent de se convertir à la religion de la femme dans le but de l'épouser.

Pour éviter les graves désadaptations à l'environnement conjugal, ces femmes "survalorisent la préoccupation pragmatique"; elles se forcent pour s'intégrer dans la société du conjoint au détriment de ses propres valeurs, et notamment ses valeurs religieuses. Elles essaient d'éliminer la contradiction ressentie et de maximiser les avantages.