12.13- Vers l'interculturel

"Mon mariage mixte (mixte= chrétiene-catholique + musulman) ne s'est jamais fait sur une base religieuse, mais simplement sur une base d'amour; en d'autres termes, nous étions amoureux l'un de l'autre, et le jeu était fait […]

Le problème religieux ne s'est jamais posé. Il faut préciser que ma femme et moi ne sommes pas strictement religieux, nous avons chacun la liberté pour notre propre croyance. Nous allons bien à l'église; beaucoup moins à la mosquée; j'ai tellement peu de temps que je préfère faire ma prière chez moi et souvent le soir de retour à la maison […]

Nous avons toujours été très libre dans le choix religieux car pour nous Dieu est unique pour tous et chacun de nous a une vision personnelle de Dieu, sous une angulation légèrement différente mais le but est le même, au fond pour nous, peu importe être chrétien, musulman ou juif, l'important est avoir un point de vue sain sur Dieu, dans le respect des légères nuances dans la vision des choses.

Pour moi, une autre religion ne représente pas une réelle différence; mais tout simplement un point de vue différent du même concept; une autre face de la même monnaie. Donc, pas de différence mais une nouvelle leçon (une richesse) d'un concept commun : Dieu, une entité commune aux hommes, à toute créature […] L'éducation religieuse de nos enfants (un garçon et une fille) – aujourd'hui des adultes – est basée tout d'abord sur un fondement d'amour, c'est-à-dire, mon premier but était d'aimer mes enfants. En premier lieu, il y a le besoin d’amour et ensuite la religion.

Il y a toujours eu un grand dialogue dans ma famille (nous sommes bavards), on a toujours beaucoup discuté "autour des choses", nous avons toujours eu "la bouche ouverte", le dialogue est ouvert chez moi […]

Le choix religieux a été la conséquence de notre éducation : le choix a été tout à fait libre, aucun conditionnement religieux durant l'Enfance. Nos enfants n'ont jamais été baptisés. Durant leur enfance; nous avons essayé de leur expliquer les deux religions, insistant surtout sur les points communs […]

En effet, mon fils a opté pour le catholicisme, à 22 ans (âge de conscience et de responsabilité); ma fille pas encore, et ils sont toujours libres de choisir; ils peuvent même être athées (non-croyants), mais toujours respectueux de Dieu. Je n'accepte pas qu'on blasphème contre Dieu, même si on n'est pas croyants. Je suis disposé à respecter le choix du non-croyant, mais je n'accepte pas le blasphème contre Dieu; je le considère comme une ignorance profonde […]

Si nous avons un esprit ouvert, la diversité culturelle sera vécue comme une curiosité, un fait de richesse ; mais si notre mentalité est fermée, la diversité sera vécue comme occasion d'ingérence vis-à-vis de laquelle il serait nécessaire de se fermer […] Évidemment les conséquences sont différentes dans les deux cas, et les résultants dépendent d'un choix de point vue personnel […]

Par conséquent, pour ma part, j'ai toujours choisi la première solution. J'ai toujours préféré vivre la diversité culturelle (ou autre) une occasion de curiosité pour apprendre de nouvelles choses et s'enrichir. Ma façon de voir ces choses, je les ai appliquées au sein de ma famille" (Ramy, musulman, 52 ans).

S’il est vrai que les origines religieuses différentes des conjoints introduisent l’idée d’une « distance » sociale entre eux, les intéressés eux-mêmes insistent également sur ce qui, au contraire, les a rapprochés : leurs études, leurs goûts, leurs conceptions du monde, leurs affinités personnelles. Les personnes peuvent aussi s’en détacher suffisamment pour aller d’une culture à l’autre ou pour appartenir aux deux (ou à plusieurs).

Ramy et sa partenaire, eux, sont tous deux croyants et respectueux des rites religieux, ceux de l’islam pour lui et de l’Eglise catholique pour elle. Il n’était question ni pour l’un ni pour l’autre, en épousant un conjoint d’une autre confession que la leur, de renoncer à la pratique de la foi ou d’envisager une conversion religieuse. C’est donc en tant que couple chrétien/musulman qu’ils se sont situés eux-mêmes dès le début de leur union.

Cette différence constitue le noyau autour duquel s’est construit l’échange conjugal, et à partir duquel les conjoints négocient leur identité familiale. La stratégie adoptée pour gérer cette différence confessionnelle combine une politique du respect mutuel, appliquée dans les rapports entre les conjoints, et une politique de neutralisation des influences des deux religions dans la socialisation de l’enfant. Le principe de tolérance réciproque des convictions religieuses des deux époux se traduit vis-à-vis de l’enfant par la volonté de lui inculquer un sentiment religieux basé sur la foi en un seul Dieu, tout en évitant de faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre. Le foyer familial constitue le seul lieu de socialisation religieuse, les actes d’initiation et d’engagement institués étant volontairement différés, jusqu’à ce que l’enfant soit en mesure de choisir lui-même.

Le système interculturel, avec ses règles, ses codes, la personnalité des partenaires, leur histoire et leur communication, va tenter de maintenir cet équilibre. Les lois du nouveau système vont prendre en charge cette réunion de trois ensembles bien distincts : "Je", "Tu" – avec chacun leur vision du monde – et le "Nous", afin que le "Nous" puisse survivre.