Conclusion

La catégorisation communautaire et l'identité confessionnelle au Liban, s'imposent comme une réalité psychique protégée par un système de valeurs intériorisé et des appartenances. Le couple mixte – chrétien/musulman - reproduit parfaitement le système, il constitue un miroir fidèle de la réalité macrosociale.

Le mariage mixte ne serait-il viable que si l'un des conjoints acceptait de s'aligner et de se fondre dans la culture de l'autre ?

Il est vrai que, dans ce mariage, la norme de la société est transgressée. Mais la transgression sociale a des aspects positifs. Ce sont souvent les individus qui avancent plus vite que les institutions. Lorsqu’une personne épouse quelqu’un d’un groupe différent, elle a au préalable pris une distance par rapport aux valeurs du sien. Communication et tolérance sont les éléments obligatoires du quotidien des couples mixtes. La société libanaise tout entière est appelée à se penser et à se vivre simultanément comme une et plurielle.

Il s’agit ainsi, dans tous les secteurs de la vie, de se référer à un autre modèle, le modèle interculturel : non seulement reconnaître les différences, non seulement les accepter, mais – et c’est bien sûr le plus difficile – faire en sorte que ces différences soient à l’origine d’une dynamique, de créations nouvelles, d’enrichissements réciproques, et non de crispations et de fermetures pouvant engendrer haine et destruction.

L’option interculturelle convie à se séparer des stéréotypes, à ne plus compter sur le « prêt à porter » des idées ou des modèles; à détruire les caractères unidimensionnels des institutions. À commencer par les institutions d’éducation, de formation, de culture... qui doivent devenir susceptibles d’intégrer la diversité culturelle, de permettre aux contraires de coexister, d’assumer des paradoxes.

Ainsi, une nouvelle vision de la culture de l’autre aura lieu, une vision plus curieuse et en tout cas moins conflictuelle.

‘Il est utile de « modifier la perception négative de l’environnement arabe : les chrétiens portent l’angoisse d’être envahi par les musulmans et se posent des questions sur leur devenir dans une région à majorité musulmane. Les chrétiens devraient modifier leur perception d’un entourage qui leur serait hostile, même si la montée de l’intégrisme musulman nourrit leur angoisse. Repenser l’histoire du Liban. Cette démarche débute par une compréhension de la signification d’être libanais à cause des différences historiques existant dès l’origine entre les communautés » (AZAR, 1999, p.103). ’

Approcher une culture unifiante. Il est temps que les Libanais élaborent les contradictions qu'ils portent, qu'ils acceptent leurs différences, les reconnaissent et les respectent dans leur nature propre afin que les différences puissent devenir source d’enrichissement.

Repenser la culture nationale : les communautés ont intérêt de repenser la culture de l’existence de l’homme libanais, indépendamment de son appartenance communautaire héréditaire. Une telle construction "à la libanaise" mérite qu'on s'y attarde.

Il existe au Liban des courants qui désirent sortir de cette situation héritée du passé. Le désir de construire un Etat, qui ne soit plus prisonnier des clivages communautaires, et qui promeuvent un sens civique libanais et la création d'une responsabilité partagée par tous pour tout le pays.

Pour l’auteur libanais MAGHRIBI, la multiplicité est l'opposé de la laïcité. Et la multiplicité dans la société libanaise est autorisée par le régime confessionnel. La laïcité est le seul moyen à suivre pour éliminer le multiconfessionnalisme. Ce qu'on entend par laïcité, c'est la séparation de la Religion et de l'Etat et la libération du droit, de l'enseignement et du statut personnel de toute intervention confessionnelle.

Certains Libanais comprennent l'intérêt d'une telle évolution, mais les méfiances héritées du passé lointain et récent sont trop fortes encore. La crainte est qu'une telle évolution n'aboutisse non pas à un vrai sens civique et à une égalité pour tous, mais au contraire favorise la domination d'une communauté sur les autres.

Ce compartimentage en diverses communautés rend la création d'un Etat moderne et laïc très difficile au Liban. Le désir d'abolir ce système et de considérer que tous les Libanais soient égaux devant la loi, pas seulement en droit mais aussi dans les faits, pour construire leur pays, existe depuis longtemps. Tout au long de l’histoire du Liban, la religion est partout présente dans les structures libanaises, c'est pourquoi une sécularisation "à l'occidentale" est bien difficile.

En revanche, de nombreux libanais (enquêtés) ont souhaité la "laïcité" dans leur pays, comme étant voie pouvant à la fois assurer la liberté de croyance et le respect de "l'autre" sans porter atteinte aux identités des différentes communautés.

"Dans notre société libanaise, nous rencontrons des opinions diverses concernant la mixité religieuse du couple. J'espère que nous passerons bientôt à la laïcité. La laïcité est la seule solution à nos problèmes relationnels interreligieux" (Tarek, 47 ans).

Cependant, au Liban, beaucoup de gens confondent encore laïcité et athéisme. La laïcité n'est pas contre les religions, tout ce qu'elle propose c'est "Religion hors l'Etat". La laïcité est garantie par la séparation des Eglises et de l'Etat. Ainsi, la république ne connait que des citoyens et non des communautés. C'est la condition fondamentale pour assurer une véritable liberté de conscience.

La laïcité ne tue pas le spirituel. Son mérite consiste à créer une sorte de consensus, où les habitants d'un même pays s'accordent sur des valeurs communes. La laïcité n'est pas anti-religieuse, au contraire, elle constitue la meilleure solution, non seulement pour un pays multiconfessionnel comme le Liban, mais aussi au sein d'un pays, possédant diverses écoles de pensées.

"Nous voulons un Liban, ni musulman, ni chrétien, ni juif, mais laïc, croyant, démocratique, libre et indépendant. Nous sommes contre le confessionnalisme sous toutes ses formes et ses apparences et pour la laïcité avec tout son dynamisme et son progrès. La voie pour l'élimination du confessionnalisme est dans la réalisation de la laïcité, dans la législature des lois qui nous transportent de l'ère du confessionnalisme vers l'ère de l'Etat, des nouvelles lois qui traitent le statut personnel, l'éducation, la culture et les fonctions. Nous insistons pour que la laïcité soit un état général qui remplace l'état confessionnel. Après la laïcité, que tous les responsables soient des musulmans, pas de différence…" a affirmé l’auteur libanais RIZK, en 1975.

La laïcité est un espace de liberté pour l'individu au sein de la société, un espace d'expression, de tolérance mutuelle envers les citoyens, de respect des différences et une invitation à vivre ensemble dans une harmonie sociale partagée.

Elle impose que soient donnés aux hommes, sans distinctions de classe, d'origine, de confession, les moyens d'être eux-mêmes, libres de leurs engagements, responsables de leur épanouissement et maîtres de leur destin.

L'humanisme laïque repose sur le principe de la liberté absolue de conscience qui s'affirme dans la liberté de l'esprit, et par la liberté d'expression : c'est le droit de croire ou de ne pas croire et aussi le droit et la possibilité de le dire et de l'écrire. Ainsi, la laïcité vise à libérer l'enfant et l'adulte de tout ce qui aliène ou pervertit la pensée, notamment les préjugés, les dogmes, les idéologies opprimantes, les pressions d'ordre culturel, économique, social, politique ou religieux.

Pour KLEILAT (auteur libanais), puisque l'Homme est le centre de toute chose, la laïcité est une nouvelle évaluation de l'Homme ; sans la laïcité, on n'arrive jamais à résoudre les problèmes des minorités et des nationalismesdans le monde arabe ainsi que les problèmes des races et des religions.

‘«Il faudrait accepter la différence et qu’elle ne soit plus un argument d’élimination de l’autre… La démocratie n’est pas basée uniquement sur la loi du nombre, mais surtout sur la culture, la protection de la minorité par la majorité, et l’acceptation de la différence… La démocratie ne peut advenir que si nous reconnaissons que la culture et la différence sont à la base de notre humanité. La démocratie libanaise est pluriculturelle » (RIZK, 2001, p. 56).’

La laïcité, dans le système politique libanais, est un projet à examiner et à approfondir. En France, ce n'était peut-être pas "si compliqué" puisqu'à l'époque, il n'y avait que l'Eglise qu'il fallait écarter de la décision politique. Au Liban, on relève dix-huit communautés qui aimeraient avoir une certaine représentativité et faire entendre leur voix. Le problème réside dans le fait que les Libanais raisonnent toujours en termes de religion.

L’auteur libanais MAKKI affirme à son tour que la laïcité est la seule solution pour le Liban et les autres pays. On ne peut pas aboutir à la laïcité scientifique sans avoir abandonné complètement la pensée religieuse au profit de la pensée scientifique. Le Liban n'aurait pas d'existence que dans la laïcité complète et dans un Etat démocratique moderne.

‘«Ne pouvant changer les réalités, il faudrait changer les mentalités. Toute extrémiste et hégémoniste est dangereuse, car elle nie les diversités… la dimension religieuse est un aspect essentiel de la culture qu’il faudrait respecter… Nous ne pouvons pas, au Liban, (et dans le monde arabe), accéder à la laïcité en gardant nos structures communautaires et familiales auxquelles nous demeurons fortement attachés. Ce sont deux logiques évolutives qui ne s’entrecroisent pas » (RIZK, 2001, p.51-54).’ ‘"Nous sommes tous des confessionnalistes, et le Liban est confessionnel, le confessionnalisme est une partie intégrante de notre profondeur" (YAZBECK, 1973, p.46).’

La laïcité peut aider à assurer l'égalité de chance pour les différentes communautés au Liban (quelle que soit la religion). Elle permet de se référer à une seule vision du citoyen. Vivre ensemble, c'est le challenge pour les Libanais. Apprendre à s'écouter et à se connaître, c'est le seul remède pour le Liban. La laïcité pourrait garantir l'espace favorable pour constituer un véritable laboratoire d'idées où les Libanais ne se regardent plus en tant que chrétiens ou musulmans, minorité ou majorité, mais en tant que citoyens libanais égaux en droit.

Le processus de laïcisation sera adapté à la situation de chaque pays. Sans une réelle préparation du terrain et sans un travail de longue haleine au niveau des structures d'éducation, vouloir précipiter son application ne peut mener qu'à la faillite. La laïcité sera rejetée, exactement de la même façon qu'un corps rejette un organe étranger, lors d'une opération de greffe.

La préparation de l’être libanais débute par l’éducation, l'éducation à "l'identité libanaise". Les Libanais, il leur manque une identité de base qui les unit sans avoir l'intention de détruire la spécificité enrichissante de chacune des communautés existantes. Le Liban de l'avenir réclame une appartenance nationale commune à tous les Libanais, qui soit au-delà de toutes les appartenances diverses : être "Libanais" avant d'être "musulman" ou "chrétien". L'avenir du Liban ne se définit pas par une culture unique : il est « interculturalité ».

Une éducation interculturelle est ainsi primordiale. La reconnaissance de la diversité culturelle n’est pas un fait nouveau en soi. L’élément, sans doute nouveau, est la façon d’intégrer cette diversité culturelle à la pédagogie.

Il s'agit d’une « connaissance pour une reconnaissance d'autrui » (OUELLET, 2005, p.181).

La confrontation des individus appartenant à des sphères culturelles différentes relativise les connaissances, oblige à construire un savoir multipolarisé. Les connaissances ne peuvent plus être présentées comme des vérités immuables et universelles, alors qu’elles ne sont que des étapes d’une pensée marquée par le temps et l’espace. La stratégie interculturelle exige cette confrontation permanente des points de vue. Elle implique une capacité aiguë de décentration, capacité qui ne fait, par ailleurs, l’objet d’aucune éducation systématique et structurée.

Essayer de comprendre l’autre, en tant que autre, dans sa différence de valeurs existentielles, dans ce qui fait de lui un étranger. Comprendre l’autre dans son altérité essentielle ne signifie pas en admettre nécessairement les principes et les fondements. L’éthique de la différence, ce n’est pas cherché à comprendre totalement toutes les altérités, c’est admettre qu’elles existent et être capable d’en supporter l’existence.

‘"Malgré les persécutions confessionnelles que nous avons rencontrées, nous n'abandonnons pas notre foi dans le christianisme – la religion du ciel – et dans Issa le prophète de Dieu et dans notre destin de vivre avec nos frères chrétiens dans un même pays. Nous avons tous les mêmes droits et les mêmes devoirs envers ce pays. C'est de cette manière que nous comprenons la convivialité et que nous gardons à la conserver" 38 . ’

C’est ainsi qu’une pédagogie « interculturelle » trouve sa double limite dans une centration exclusive sur l’autre mais aussi sur le sujet. Le préfixe « inter » retrouve ici toute sa valeur en tant qu’expression d’un mouvement dynamique, d’une mise en relation réciproque de plusieurs éléments.

La pédagogie interculturelle n’a pas pour objet d’enseigner les cultures, mais de redonner à tout apprentissage sa dimension culturelle.

‘"L'élève se familiarise avec sa propre culture et avec l'univers plus large des cultures. Pour être bien préparé à vivre dans une société marquée par la diversité, l'élève doit apprendre à façonner ses convictions personnelles en même temps qu'il prend conscience de leur relativité" (OUELLET, p.177).’

Il est indispensable de reconnaître qu’il est très difficile, pour un individu de formuler très précisément et d’objectiver les normes culturelles auxquelles il adhère ; normes qui sont, en fait, le produit d’appartenances groupales et d’une personnalité individuelle.

Il est important donc de reconnaître les préjugés dans les jugements de personnes appartenant à une culture bien ciblée ; de connaître la fonction des préjugés dans la vie individuelle et sociale ; de discuter comment, par la prise de conscience, les conséquences nuisibles des préjugés peuvent être neutralisées et voir comment les relations entre différents groupes peuvent être améliorées par la connaissance des mécanismes des stéréotypes.

L’un des rôles des éducateurs est d’aider les enfants et les jeunes à se situer par rapport à leur(s) culture(s) avec une certaine liberté. Cela suppose en premier lieu un combat contre la culpabilisation, en découvrant avec eux où se situent véritablement la fidélité aux anciens et le respect de la tradition. Il s’agit de créer chez le jeune les conditions d’un dialogue avec son milieu culturel, de lui apprendre à écouter les autres.

L’interculturalité libanaise est très liée à la religion, de ce fait une "éducation à la religion" 39 nous semble importante.

"L'éducation à la religion" se distingue de l'enseignement religieux confessionnel qui vise la transmission des éléments fondamentaux de la doctrine et des croyances d'une religion spécifique. Cet enseignement nourrit chez l'enfant sa propre appartenance religieuse. En revanche, "l'éducation à la religion" contribue au développement personnel de l'enfant et à l'éducation à la citoyenneté.

La formation d'un citoyen a pour finalité la formation d'un sujet libre, pour qui l'engagement civique devient un lieu d'expression de ses convictions. C'est une personne qui a la capacité de peser le pour et le contre de ses actes, autant que ceux de ses concitoyens.

"L'éducation à la religion" peut aider les jeunes libanais à mieux fonder leur identité en facilitant une appropriation critique de l'héritage social, culturel et religieux par la reconnaissance de l'existence d'une multitude de cultures et de conceptions de la vie.

"L'éducation à la religion" poursuit une finalité d'éducation à la citoyenneté et à l'interculturalité. Elle favorise donc une prise en compte positive de l'altérité et de la diversité.

‘"L’éducation donnera alors priorité à la capacité de naviguer entre plusieurs cultures plus qu’elle n’insistera sur un système de comportement homogène. Son objectif ne sera plus l’appropriation d’une culture, mais la capacité d’ajuster en permanence et avec rigueur son comportement dans chaque situation" (VERBUNT, 2001, p.85).’

Ainsi, au Liban certaines lois dirigées par des enseignements religieux sont à repenser :

‘"Art. 211 : Sont exclus des successions : celui qui est d'une religion différente de celle du défunt" (MAHMASSANI, p.426).’ ‘"Art. 587 : La différence de religion ôte tout droit à la succession d'un musulman à un chrétien, et réciproquement" (MAHMASSANI, p.258). ’ ‘"Art.16 : Est nul tout mariage conclu au Liban par un Libanais appartenant à l'une des communautés chrétiennes ou à la communauté israélite, devant une juridiction civile" 40 (MAHMASSANI, p.344).’ ‘"Canon 85 Part 1 : Sont seuls valides les mariages qui sont contractés dans un rite sacré" (MAHMASSANI, p508).’ ‘"Canon 52 : Le conjoint catholique est tenu de travailler avec prudence à la conversion du conjoint non catholique" (MAHMASSANI, p.492).’ ‘"Canon 54 : Les hiérarques et autres pasteurs d'âmes :
Détourneront les fidèles autant qu'ils pourront des mariages mixtes;
S'ils ne peuvent les empêcher, ils veilleront de tout leur zèle à ce qu'ils ne soient pas contractés à l'encontre des lois de Dieu et de l'Eglise" (MAHMASSANI, p.492).’

Tant de personnes rencontrées (lors de l'enquête sur le terrain), se révoltent contre la religion qui leur dicte la façon de vivre leur vie de couple ! Certaines ont décidé de s'écarter de ce système matrimonial libanais "pourri" (selon leur expression) dominé par la religion; elles ont transgressé les lois et ont décidé de vivre maritalement avec leur bien-aimé(e) - normalement une situation de couple non tolérée par la société - ni musulmans, ni chrétiens, mais seulement deux personnes qui s'aiment au-delà de toutes les interdictions sociales, au-delà de toute loi qui complique leur vie amoureuse.

‘"Donnez au monde entier l'image de l'Homme nouveau dans cette région du monde, pour qu'elle soit l'exemple de l'Homme moderne et civilisé, l'Homme de la paix dans tout lieu et dans tout temps. Annoncez à vos enfants la fin des guerres et des souffrances, et ce qu'on attend, c'est le nouveau commencement pour une nouvelle vie, vie d'amour, de bien, de liberté et de paix" 41 . ’

Le Liban a besoin, plus que jamais, d’une réforme législative qui en finira avec le confessionnalisme politique, afin que le principe d’égalité et d’interculturalité devienne réalité.

Le premier point dans cette réforme doit être "le statut personnel", et plus particulièrement le mariage. La réalité du mariage et de la famille est très différente aujourd’hui de ce qu’elle était, il y a seulement trois ou quatre décennies. La loi, étant un moyen d’organisation de la vie quotidienne, ne peut ignorer le fait que les choses aient changé.

Repenser la loi libanaise est primordial aujourd'hui; cette loi qui constitue un obstacle important au dialogue : le dialogue entre les confessions et les religions et, en conséquence le dialogue au sein du couple mixte, notamment chrétien/musulman. Cette loi, qui au seuil du troisième millénaire méprise énormément "la Femme".

Dans certains pays arabes, la condition juridique de la femme connaît une nette évolution. Il n'en reste pas moins que le combat, pour abroger certaines lois rétrogrades et gagner le pari de la modernité, est à mener. Malheureusement, le Liban – au sujet du statut juridique de la femme - reste encore parmi les pays les plus traditionnels.

De nos jours, la femme prend une place de plus en plus importante dans la vie sociale et familiale. La femme actuelle n'est plus celle d'autrefois. Elle n'est plus ni opprimée, ni discriminée - c'est surtout le cas dans les pays développés. Il y a quand même des pays où l’on continue de limiter ses droits naturels et sociaux. Malheureusement, il y a ceux qui croient encore au mythe du sexe faible.

Dorénavant, les femmes sont considérées comme les éléments moteurs de développement. Pour évaluer les progrès dans ce domaine, on se réfère au degré de judiciarisation du droit de la famille et notamment du droit de la femme. La société libanaise est une société qui est encore régie par les lois du patriarcat. L'aménagement des lois en faveur des droits de la femme est un phénomène indéniable.

La femme a droit au choix de son partenaire quelle que soit sa religion, sans aucune contrainte de perdre sa vie, de perdre sa religion d'origine et son héritage. En un mot sans crainte de perdre son identité.

‘"Art. 15 : Dans les mariages mixtes, le mariage doit régulièrement être célébré devant l'autorité religieuse dont relève le futur époux" (MAHMASSANI, p.342).’

Que pensons-nous aussi de la loi qui autorise la polygamie ? La femme libanaise, et notamment la femme musulmane, réclame son droit à l'unicité, et se révolte contre toute loi qui, au nom de Dieu, l'empêche de vivre sa dignité. Il est temps de lui reconnaître sa juste valeur et de répéter avec l’idée de Napoléon : la femme en berçant son enfant avec sa main droite, berce le monde entier avec sa main gauche.

Cependant, l'émancipation de la femme libanaise ne peut pas être le fruit de la seule reconnaissance de ses droits, mais passe également par son indépendance financière. Ainsi, il reste encore un long chemin pour que les mentalités et les pratiques changent, en ce domaine.

Introduire un système législatif croyant à l’égalité et à la liberté des individus est primordial pour la société libanaise. Ainsi, il est nécessaire d’éliminer l’article 95 de la constitution libanaise qui sacralise le confessionnalisme au Liban :

‘« Afin de faire régner la justice et l’accord, et ceci selon une forme provisoire, les confessions sont représentées dans le ministère et dans les fonctions publiques, tant que cette représentation ne nuit pas à l’intérêt général ».’

La "Charte des droits de l'Homme" – charte internationale – condamne les systèmes sociaux, religieux, politiques, juridiques, etc. qui ôtent à l'Homme ses droits naturels, son droit à la liberté :

‘"Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité" (art 1).’ ‘"Tous sont égaux devant la loi et ont droit sans distinction à une égale protection de la loi. Tous ont droit à une protection égale contre toute discrimination qui violerait la présente déclaration et contre toute provocation à une telle discrimination" (art. 7).’ ‘"Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes" (art. 12).’ ‘"Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu'en privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites" (art. 18).’

Les couples mixtes – pas très nombreux d'ailleurs – jouent un rôle de « catalyseurs » dans la société libanaise. Ainsi, on peut considérer le Liban comme un « laboratoire humain » où tous les obstacles, empêchant la Vie Humaine de se réaliser pleinement, seraient à éliminer.

Dans la société libanaise, on a besoin de "plus de foi que des religions" 42 .

‘«En reconnaissant la dimension culturelle de chaque communauté que nous dépassons la dimension politique, car nous créons une plate-forme pluriculturelle à laquelle chacun a accès. C’est uniquement ainsi que nous établissons un véritable dialogue des cultures entre le christianisme, l’islam et le judaïsme, entre l’Orient et l’Occident ... c’est l’histoire de ces 1700 années et la transmission du judaïsme au christianisme et du christianisme à l’islam. C’est ma possibilité d’être monothéiste et pluriculturel, de séparer la foi de la politique et d’avoir accès à la religion de l’autre, en tant que culture qui le révèle, qui me le fait connaître et qui m’enrichit » (RIZK, 2001, pp. 51-57).’

Construire une famille basée sur le respect de toutes les croyances et de toutes les différences, détruire la famille imprégnée de fanatisme et de racisme, reste le projet à réaliser dans la société libanaise.

Ainsi, la confession laïque 43 prendra sa première place dans la société libanaise. Reconnaître la présence de cette nouvelle confession laïque, pourra être un moyen pour mettre fin au fanatisme religieux. Le mariage civil facultatif (comme premier pas) - déjà préparé par le conseil des ministres - sera reconnu. (cf annexe p.474).

Sans la déclaration officielle d’une véritable laïcité englobant tous les domaines, le mariage mixte religieux aura beaucoup de difficultés pour devenir une entité vitale au Liban.

Avec la laïcité, ce pays pourrait connaître la liberté du mariage, et notamment du mariage religieusement mixte, ainsi que sa reconnaissance sociale.

Actuellement, à cause des pressions sociales, les couples mixtes vivent un défi perpétuel et quotidien. Il faut signaler une évolution sociale dans ce domaine, évolution que l’on ne peut qu’apprécier. Par exemple, les « crimes d'honneur » d'autrefois sont de plus en plus remplacés par des ruptures relationnelles avec la famille et les parents.

Le rôle joué par les couples mixtes au Liban est important. Leur vécu, leur choix peuvent interroger le reste du peuple libanais et concourent à une mutation de la société libanaise. Ainsi, l’interculturalité change de plus en plus de visage ; une interculturalité non plus religieuse mais à inventer : va-t-on vers une "laïcité à la libanaise" ?

En France, l’instituteur a remplacé le curé, au Liban, par qui le curé et l’Imam seront-ils remplacés ?

De même, bientôt ne parlera-t-on plus de mariages mixtes chrétien/musulman au Liban : il sera normal d'épouser "l'étranger" !

"L’étranger commence lorsque surgit la conscience de ma différence et s’achève lorsque nous nous reconnaissons tous étrangers, rebelles aux liens et aux communautés".
(Kristeva, 1988)

Notes
38.

Parole de l’Imam KHALED, Mufti de la république, en 1975

39.

Expression utilisée par Fernand OUELLET dans son livre " Quelle formation pour l'éducation à la religion?"

40.

Même s'il est conclu devant l'autorité civile, le mariage d'un musulman selon la loi islamique est toujours un mariage religieux.

41.

Parole de Anouar El-SADATE en 1977 (ancien Président de la République d’Egypte 1970-1981).

42.

Expression utilisée par une des femmes enquêtées.

43.

La confession laïque a été votée par la sentence déclarée par la cour d'appel laïc en 1967 sous le N˚2244. Cette sentence est votée, mais non appliquée.