La Guadeloupe

La Guadeloupe est elle aussi découverte par Christophe Colomb, le 4 novembre 1493, lors de son second voyage. Elle est alors habitée par la tribu guerrière de Caraïbes qui a décimé peu auparavant les anciens occupants Arawaks, et s’appelle Caloucaéra (« l’île aux belles eaux »). Colomb la rebaptise Guadalupe, en hommage à Santé Maria de Guadalupe de Estramadura (la Vierge Noire), mais cette île inhospitalière n’intéresse pas les Espagnols. Cédée à la France en 1635, les premiers colons plus ou moins volontaires sont des agriculteurs bretons ou normands venus mettre cette terre en valeur pour le compte de la Compagnie des Isles d’Amérique. Mais les cultures étant initialement peu rentables, celle-ci cède l’île à Charles Houël en 1643. C’est lui qui introduit la culture de la canne à sucre, du café et du cacao. Les indiens Caraïbes ayant été rapidement exterminés par la maladie et l’alcool, les colons doivent se tourner vers une autre source de main-d’œuvre pour cultiver le cacao, le café ou la canne à sucre : dès 1642, la traite des esclaves d’Afrique commence, et avec elle se développe le commerce triangulaire. Pendant la guerre de Sept Ans, la Guadeloupe est occupée par les Anglais de 1759 à 1763. Durant l’occupation, de nouvelles cultures (coton et épices) sont introduites et Pointe-à-Pitre fondée. Trois ans plus tard, l’île est cédée à la Compagnie des Indes Occidentales, avant de passer sous l’autorité royale en 1774. La colonie est prospère, et exporte de grandes quantités de cacao. Mais la Révolution change la donne : lorsque les colons refusent d’appliquer l’abolition de l’esclavage votée par la Convention en 1794, les esclaves réclament l’application de leur droit et se révoltent. Les Anglais viennent en aide aux propriétaires terriens et occupent l’île en 1795. Ils ne s’y maintiennent que deux mois avant d’être chassés par Victor Hughes, envoyé du gouvernement, à la tête de quelques troupes républicaines et des esclaves révoltés. S’en suit une épuration anti-royaliste sanglante … La Guadeloupe connaît alors avec un certain décalage les mêmes soubresauts politiques qu’en France, avec l’affrontement des diverses factions luttant pour le pouvoir.

La situation dans cette île est toute différente de celle à Saint-Domingue : restée en contact avec la métropole, elle n’a jamais quitté le giron de Paris, même si certains évènements sont parfois venus entraver plus ou moins gravement la bonne exécution des ordres du gouvernement. Dès février 1801, le premier Consul avait désigné l’amiral Lacrosse comme capitaine général de cette île, avec mission de reprendre en main l’armée. Lacrosse est aimé des troupes noires pour son rôle dans la proclamation de la République à la Guadeloupe en 1793. Mais comme il le dit lui-même dès son retour dans l’île le 30 mai 1801 : « je ne suis plus le Lacrosse de 1793 ». Rapidement, son attitude vexatoire vis à vis des noirs et des mulâtres lui aliène l’armée, dont ils forment la quasi-totalité. Lorsque le général Béthencourt, commandant la force militaire dans l’île, meurt de maladie, Lacrosse refuse de nommer le noir Pélage comme son successeur, comme la règle hiérarchique le voudrait. A la place, il s’attribue cette charge en plus de celle qu’il occupe déjà. Si Pélage ne s’insurge pas, plusieurs de ses subalternes moins conciliants vont le faire pour lui : une mutinerie éclate entre les 21 & 24 octobre 1801, qui aboutit au renvoi de Lacrosse en France. Pélage, voulant éviter les massacres inhérents à une guerre civile, accepte de prendre la tête d’un gouvernement provisoire qu’il espère ainsi modérer. Immédiatement, il écrit au gouvernement français pour l’assurer de la fidélité de la Guadeloupe et lui faire savoir les raisons du renvoi du capitaine général. Malheureusement, le vaisseau portant Lacrosse est arrêté par la Royal Navy, qui détourne son passager vers l’île de la Dominique, d’où il donne sa version des faits aux Consuls, accusant Pélage et l’armée de révolte contre la métropole. Le gouvernement provisoire de la Guadeloupe se trouve dès lors isolé politiquement, puisque Paris ne communique plus qu’avec Lacrosse, considéré comme chef légitime en exil. La Royal Navy, désormais en paix avec la France, prête son concours à ce dernier en détournant sur la Dominique tout navire voulant se rendre à la Guadeloupe, puis sur Marie-Galante, reprise par le général Sériziat.

Malgré ses multiples tentatives visant à assurer le premier Consul de la fidélité de la Guadeloupe à la France, Pélage n’est donc pas entendu. A Brest, une expédition militaire est organisée, ayant pour but de mater la rébellion et de ramener l’ordre dans la colonie, en vue, comme à Saint-Domingue, de réintroduire l’esclavage. L’expédition pour la Guadeloupe ne quitte pour sa part le port de Brest que le 1er avril 1802. Elle porte une armée beaucoup plus réduite que celle de Saint-Domingue : un peu moins de quatre mille hommes, sous le commandement du capitaine général Richepance. Il entre dans la rade de Pointe-à-Pitre dans les premiers jours de mai 1802, croyant être accueilli à coups de canon alors que c’est une fanfare qui l’attend sur les quais. Pélage, malgré une nouvelle série d’humiliations, parvient à convaincre les officiers français des bonnes dispositions de l’île à son égard. L’affaire aurait pu s’arrêter là, si dans le sillage de Richepance ne se trouvaient de nombreux officiers qui avaient fuit à la Dominique lors de l’insurrection d’octobre, et qui de retour se vengèrent de leur exil en faisant battre et désarmer des soldats noirs, les arrêtant et les enfermant à bord des vaisseaux. Ces vexations poussent de nouveau une partie des soldats coloniaux à se rebeller : trop peu nombreux pour tenir tête au corps expéditionnaire, ils s’enfuient jusqu’à Basse-Terre dont ils organisent la défense. Les meneurs de cette révolte sont les chefs de bataillon Ignace et Delgrès.

Lorsque Richepance se présente devant Basse-Terre le 10 mai, il est accueilli à coups de canon. Après onze jours de combats dans et autour de cette ville, il en expulse Ignace et Delgrès, qui sont ensuite encerclés isolément : vaincu à Baimbridge par Gobert et Pélage, Ignace se suicide le 26 mai pour ne pas être fait prisonnier ; le 28, Delgrès, encerclé dans l’habitation Danglemont à Matouba, se fait sauter avec ses hommes et les premiers éléments de Richepance qui pénétraient dans l’habitation.

Comme la défense de la Crête-à-Pierrot à Saint-Domingue, la disparition de ces deux leaders va devenir une victoire morale malgré l’élimination de presque tous les insurgés. Mais leur sacrifice va servir de terreau aux germes de l’insurrection …

Figure 4 : Débarquement des troupes expéditionnaires à Pointe-à-Pitre, et premiers mouvements contre les insurgés (6-10 mai 1802)
Figure 5 : Poursuites séparées d’Ignace et Delgrès après l’évacuation du fort Saint-Charles (10-28 mai 1802)

Le calme revenu, Richepance fait déporter en France les officiers supérieurs de l’armée coloniale (dont le fidèle Pélage) et les membres du gouvernement provisoire. Comme Leclerc, Richepance fait de son mieux pour administrer et redresser la colonie. Il rappelle brièvement l’exécré Lacrosse et le replace comme capitaine général, pour punir les Guadeloupéens de leur révolte contre cet envoyé du gouvernement. Mais celui-ci ne devait être revêtu que d’une autorité nominale, celle de fait restant entre les mains de Richepance jusqu’à ce que Lacrosse lui transmette officiellement le titre, avant de partir prendre le commandement de Tobago. Mais Richepance est victime de la fièvre, qui l’emporte le 3 septembre 1802.

Lacrosse, qui n’était pas encore parti pour Tobago, manœuvre pour se retrouver de nouveau à la tête de la colonie, alors que le commandement aurait dû échoir au général Gobert, lieutenant de Richepance. Le nouveau capitaine général donne alors libre cours à son désir de revanche, traquant comme des bêtes les derniers insurgés, exécutant les prisonniers avec mille raffinements, … Cherchant à assurer sa main-mise totale sur l’île, il se débarrasse rapidement du général Gobert, puis du général Ménard à la fin de l’année 1802. De nouveau, l’exaspération de la population est à son comble et la situation prête à dégénérer. Heureusement, la métropole envoie le général Ernouf pour le remplacer. Ce dernier arrivé à la Guadeloupe, Lacrosse quitte définitivement l’île le 8 mai.

Dans les années qui suivent, la reprise de la guerre avec l’Angleterre donne l’impression d’une partie d’échec avec les gouverneurs britanniques voisins : chacun monte des opérations pour s’emparer d’îles périphériques, simples dépendances, sans s’attaquer vraiment au cœur du dispositif ennemi. Ce jeu du chat et de la souris dure ainsi jusqu’en 1809 : le blocus de l’île se fait plus serré, et Ernouf ne reçoit plus que de maigres renforts au prix de lourdes pertes navales.

En janvier 1810, les Britanniques débarquent une division dans la Basse-Terre. Après une brève résistance inégale, Ernouf capitule le 6 février 1810, livrant l’île aux Anglais.

L’île de la Guadeloupe forme sur les cartes une sorte de papillon, formée de Grande Terre (590 km²) côté atlantique, vaste plaine débouchant au nord et à l’est sur des falaises, et au sud-ouest sur la bande de terre marécageuse la reliant à la partie occidentale de l’île. Celle-ci, la Basse-Terre (842 km²) possède un relief montagneux où culmine le volcan de la Soufrière et une végétation tropicale beaucoup plus dense, cette partie étant beaucoup plus humide. C’est dans cette dernière que se trouve la capitale de la colonie, elle aussi baptisée Basse-Terre. L’île a également cinq dépendances : Marie-Galante (156 km²), la Désirade (27 km²), les Saintes (13 km²), Saint-Barthélémy (21 km²) et Saint-Martin (52 km²), une île partagée entre parties française et néerlandaise.