4.1 - La mort ou la captivité

4.1.1 - La mortalité des officiers

Sur les dix-sept généraux de division envoyés aux Antilles et à Saint-Domingue entre 1802 et 1810, sept 387 sont morts en opération. Soit 41,1%, tous de la fièvre jaune ou d’autres maladies tropicales (paludisme, leptospirose, …), bien qu’on puisse parfois, faussement, lire chez les auteurs haïtiens que le général Dugua se serait suicidé.

Sur les trente-trois généraux de brigade ayant servi aux colonies, soit envoyés de France soit intégrés sur place, douze 388 sont morts en opération ou en captivité. Soit 36,3%, dont deux seulement ont péri de mort violente : de Noailles, mortellement blessé au cours de l’abordage de la « Hazard » (1er janvier 1804), et Ferrand, suicidé après la bataille de Ceybo (7 novembre 1808). Le général Laplume, décédé en Espagne à son retour de Saint-Domingue, pourrait également être comptabilisé dans ce nombre, car mort des suites de ses blessures et d’un abcès au foie contracté au cours de sa dernière campagne. Il porterait alors le taux de mortalité à près de 40% …

Sur les trente-neuf adjudants-commandants ayant servi dans les mêmes conditions, cinq 389 doivent être retirés car leur sort m’est totalement inconnu. Sur les trente-quatre restants, quinze 390 périssent au cours des campagnes outre-mer. Soit 44,1%, dont un seul est officiellement décédé de mort violente : Lavalette du Verdier … noyé ; les autres succombant aux maladies tropicales. Reste le cas irrésolu des conditions du décès de d’Arbois de Jubainville 391  : maladie ou mauvais traitements ?

Sur les soixante-trois chefs de brigade (colonels) que j’ai pu répertorier 392 , douze 393 doivent être retirés pour les mêmes motifs que précédemment. Sur les cinquante et un restants, dix-huit 394 sont morts en opération. Soit 35,2%, avec cette fois un pourcentage plus élevé de morts violentes, toutes à Saint-Domingue : cinq tués aux combat (Netherwood, Maillard, Angros, La France et F. Bernard), deux exécutés (Domage pendu sur ordre de Daure, Desravines fusillé par Berger) alors que les causes de la mort de Rey restent indéterminées. Encore une fois, l’écrasante majorité restante succombe aux maladies tropicales. Et il y a fort à parier que la majorité de ceux dont le sort est inconnu ait péri de la même manière …

Sur les cent cinquante-sept commandants (chefs de bataillon et chefs d’escadron) répertoriés 395 , soixante-dix doivent être retirés pour les mêmes motifs que précédemment. Sur les quatre-vingt sept restant, vingt-cinq 396 périssent en opération. Soit 28,7%, dont seulement neuf de morts violentes : trois au combat (La Châtre, Bolesta & E. de Lacroix), quatre sont exécutés (Bardet, Lemoine, Ferbos & Désiré, tous noirs ou mulâtres), Jasinski se suicide alors que Lux se noie au cours du même naufrage que l’adjudant-commandant Lavalette du Verdier. Là encore, les décès par maladie sont les plus nombreux, et l’on peut imaginer que les manquants font majoritairement partie de cette catégorie …

Ce qui donne un taux de mortalité de 34,6% pour l’ensemble des deux cent vingt-deux officiers de tous grades répertoriés et dont le destin nous est connu. Plus particulièrement, le taux de mortalité est de 40,4% chez les officiers généraux (adjudant-commandants et généraux) et 31,1% des chefs de corps (colonels et commandants), quoique ce dernier chiffre ne témoigne sans doute pas fidèlement de la véritable hécatombe des officiers de ces grades, du fait des lacunes existantes concernant le devenir de près de la moitié des commandants. On peut néanmoins imaginer que si on ne trouve plus trace de ceux-ci après ces campagnes, c’est qu’ils auront pour la plupart péri au cours de celles-ci ou moisi sur les pontons anglais …

On est donc assuré qu’au moins un tiers des officiers supérieurs d’origine des armées expéditionnaires a péri au cours de ces expéditions coloniales. Si on rapproche le taux de mortalité d’environ 40% des officiers généraux à la moyenne des pertes en officiers généraux établie par Georges Six 397 pour la période Révolution-Empire, soit un peu plus de 10% des généraux tués au combat, les campagnes coloniales et particulièrement celle de Saint-Domingue auront été au moins quatre fois plus meurtrières que la moyenne.

Notes
387.

Leclerc, Dugua, Debelle, Hardÿ & Watrin à Saint-Domingue; Richepance à la Guadeloupe et Sahuguet à Tobago.

388.

Le Doyen, (Claude) Clément, Ferrand, Tholosé, (Maurus) Meyer de Schauensee, Jablonowski, de Noailles & Spital à Saint-Domingue ; Sériziat à la Guadeloupe ; De Vrigny à la Martinique.

389.

Gilly Vieux, Reignier, Darmont, La Fargue et Merck, tous affectés à Saint-Domingue. Les quatre premiers sont portés sur plusieurs états d’officiers, mais n’apparaissent dans aucune autre lettre ou aucun mémoire ; quant au dernier, je perds sa trace dans l’île à partir du 15 novembre 1802.

390.

D’Arbois de Jubainville, Andrieux, Lavalette du Verdier, Dampierre, Isar, Deplanques, Larocheblin, Valette de Brieu, Cravey (ou Cravuy), Crouzat, Dornemant, d’Aoust, Battencourt, Guibal & Saqueleu, tous à Saint-Domingue.

391.

cf. Infra, p.116

392.

La liste se veut la plus exhaustive possible, mais à partir du grade de chef de brigade et inférieur, la possibilité augmente qu’un officier n’ait pas été découvert ... De plus, je n’ai pas inclus à ces calculs les colonels de la garde nationale, sauf s’ils venaient à commander des colonnes comprenant des éléments des armées expéditionnaires …

393.

Grandet, Drouin, Baudin, Valdony, Normand, Feriet, Artau, Vilain, Bon & Morin à Saint-Domingue ; Dudéderzeul et Sancé à la Guadeloupe.

394.

Netherwood, Maillard, Guériot de Saint-Martin, Guyonneau de Pambour, Vonderweidt, Rey, Lefebvre, Angros, Domage, Desravines, Catoire, La France, Maubert, F. Bernard, Lemaître & Mangin à Saint-Domingue ; Portalis à la Martinique. Anouilh, de l’armée de Saint-Domingue, meurt de maladie sur le navire le ramenant en France, quelques jours à peine après son départ.

395.

Même remarque que pour les chefs de brigade …

396.

Lux, Fédon, (D.) Baron, Miquet, Lefebvre, Parnageon, Bardet, Lemoine, Ferbos, Désiré, Margeret, Bolesta, Zagorski, Jasinski, Laurent, Mangé, Aubry, de La Châtre, (Léopold) d’Arbois de Jubainville, Ferrari, (Esprit) de Lacroix, Jaumes, Dampierre à Saint-Domingue ; Goffard à la Guadeloupe ; Legrand à la Martinique.

397.

Six (Georges), Les généraux de la Révolution et de l’Empire – Etude, Paris, Bernard Giovanangeli Editeur, 2002, p.281