4.1.2 - Les prisonniers

De 1803 à 1810, les Britanniques vont directement ou indirectement faire tomber les colonies françaises. Au total, ils emmènent prisonniers quatre 398 des généraux de divisions d’origine, huit 399 des généraux de brigade, six 400 des adjudants-commandants, onze 401 des chefs de brigade et vingt-quatre des commandants 402 . Ce qui signifie que 23,8% des officiers de ces grades dont la destinée est connue, envoyés aux colonies entre 1802 et 1810, sont passés par les geôles britanniques.

Les officiers prisonniers sont emmenés à la Jamaïque pour y être détenus, alors que certains sont renvoyés sur parole en France via les Etats-Unis. Dembowski décrit son arrivée à Kingstown : « Nous avons trouvé ici beaucoup de prisonniers français, des différents endroits évacués de Saint-Domingue. Leur situation nous afflige. En général, le prisonnier n’est pas bien traité, mal nourri et mal payé. Les officiers n’ont que 4 gourdes (20 francs) par semaine ; on ne fait point de distinction de grade pour la paye. Le logement, dans les rues les plus étroites et les plus malsaines, coûte de 20 à 25 gourdes par mois et 60 à 70 gourdes pour la nourriture si, comme moi, on est en famille. Une gourde de blanchissage pour chaque douzaine de pièces. Vous voyez donc que le gouvernement anglais ne paye que le septième de ce qu’il faudrait pour les premiers besoins » 403 . Du fait de la présence de sa femme et d’un enfant en bas âge, Dembowski obtient rapidement de rentrer en France, où il débarque six mois après sa capture, via les Etats-Unis.

Les officiers à la Jamaïque sont prisonniers sur parole, alors que les hommes du rang sont entassés à bord des pontons dans la rade. Mais à terre, les officiers sont sujets aux brimades, insultes et parfois agressions physiques des habitants, au point qu’ils ne se déplacent plus qu’en groupes de huit ou dix pour se défendre, car sous prétexte de les désarmer leurs geôliers leur ont même retiré leurs cannes.

La présence de tant de Français à la Jamaïque faisant craindre des troubles à la population locale, une partie des prisonniers est envoyée en Angleterre. Le gouvernement britannique privilégie particulièrement le transfert de ceux qu’elle considère à tort ou à raison impliqués dans les  « atrocités du Cap » 404  : Rochambeau, La Poype, Pageot, (Pierre) Boyer 405 , de Ruault (« exécuteur des meurtres de Rochambeau ; à bord des navires-prisons pour manquement à sa parole » 406 ), Boscus, Duveyrier, Félix, Meynard, Fontaine 407 , Leclerc 408 , Fiche (« un assassin, il a tué dernièrement un homme nommé Cagnon » 409 ), O’Gorman 410 , Alègre 411 . En Grande-Bretagne, c’est souvent en Irlande ou en Ecosse que sont détenus les prisonniers.

L’amiral Villaret-Joyeuse à la Martinique est sans doute l’officier détenu le moins longtemps, puisque capitulant le 24 février 1809, il est débarqué en France le 27 avril de la même année. Les Britanniques ont alors respecté les clauses de la capitulation signée avec cet amiral, ce qui ne sera pas le cas de celles de l’armée de Saint-Domingue au Cap. Alors que les officiers devaient être ramenés en France, certains comme Brunet sont détenus jusqu’à la première abdication de Napoléon en 1814, soit presque dix ans plus tard ! Rochambeau ne fut échangé qu’au bout de quelques sept années, en 1811. Mais dans ce cas, Napoléon qui lui reprochait la perte de la colonie n’était pas plus pressé que les Anglais de le remettre en liberté …

Notes
398.

Rochambeau & La Poype de l’armée de Saint-Domingue ; Ernouf de celle de la Guadeloupe ; l’amiral Villaret-Joyeuse faisant fonction à la Martinique.

399.

Brunet, (Pierre) Boyer, Fressinet, du Barquier, Pageot & Morgan de l’armée de Saint-Domingue ; à celle de la Martinique ; (Jean-François) Noguès à Sainte-Lucie.

400.

Duveyrier, Huin, Claparède, (Jacques) Boyé, Dumont & Luthier de l’armée de Saint-Domingue.

401.

Panisse, d’Hénin, Boscus, Sabès, Berger, Luzy, Labelinais, (Mathieu) Lacroix, Borthon de la Motte & Dembowski à l’armée de Saint-Domingue ; (Jean-Marie) Villaret -Joyeuse de celle de la Martinique.

402.

Moulu, Dubreton, Chapelle, Cambrelin, Froment, Grandsaignes, Mathieu, Félix, Jumel, Nairaud, (Gaëtan) Dalvimart, Jumel, Malachowski, Groisne, Bruny, Lefebvre-Desvaux & d’Hénin de Cuvilliers de l’armée de Saint-Domingue ; Madier de la Martine, Montfort, Miani, Boyer-Peyrelau, Pinguet & Desprès à la Martinique ; Prost à la Guadeloupe.

403.

Dembowski (Louis Mathieu), « Voyage de retour de Saint-Domingue en France », in Journal et Voyage à Saint-Domingue (1802), Paris, Librairie Historique F. Teissedre, 1997, p.150

404.

Public Record Office de Londres, cité in Darne-Crouzille, Op. Cit., p.429

405.

Il avait été capturé en avril 1803, alors qu’il rentrait en France pour informer le premier Consul sur la situation de l’armée de Saint-Domingue …

406.

Lettre de Duckworth, 18 décembre 1803, cité in Darne-Crouzille, Op. Cit., p.429

407.

Secrétaire de Rochambeau, l’un des bénéficiaires de la vente forcée des terres du citoyen Labattut.

408.

Officier du génie n’ayant aucun lien avec l’ancien capitaine-général. Très mat de peau, il manqua d’ailleurs de peu de finir noyé, étant souvent prit pour un mulâtre …

409.

Lettre de Duckworth, 18 décembre 1803, cité in Darne-Crouzille, Op. Cit., p.429

410.

Colon de Saint-Domingue, aide de camp de Rochambeau.

411.

Secrétaire et interprète de Rochambeau.