4.2.2 - Les prisonniers libérés ou évadés

Restent ceux qui rentrent de captivité entre 1803 et 1814, sur parole, par échange ou par évasion.

Les amiraux ou généraux de division tout d’abord : (Louis) Villaret est celui qui passe le moins de temps en captivité, rentrant en France en avril 1809, soit deux mois après la capitulation de la Martinique ; La Poype est autorisé à rentrer en France dès juin 1806, en attendant son échange officiel ; Ernouf se fait passer pour mortellement malade pour être autorisé par les Anglais à rentrer en avril 1811 mourir dans sa famille, mais se remet subitement une fois le pied posé en France … ; Rochambeau n’est échangé qu’en décembre 1811 ; et Brunet n’est libéré qu’en août 1814, soit près de cinq mois après l’abdication de Napoléon.

Parmi les généraux de brigade prisonniers, Claparède et Morgan sont sans doute les premiers à repasser en métropole, échangés dès janvier 1804 ; (Jean) Noguès, ayant capitulé à Sainte-Lucie le 22 juin 1803, rentre en France sur parole début 1804 ; Fressinet obtient des Anglais une permission de quelques mois en France en février 1805, et est autorisé par l’Empereur à ne pas se re-constituer prisonnier à l’expiration de celle-ci ; (Pierre) Boyer rentre sur parole en juillet 1806 ; du Barquier est rapatrié de Santo Domingo début 1809 avec tous ses officiers, conformément à la capitulation passée avec les Anglais six mois plus tôt ; Pageot, (Jacques) Boyé et d’Hénin débarque en France en mars 1811, les deux premiers par échange et le dernier sur parole ; quant à Houdetot, fait prisonnier à la Guadeloupe en février 1809, il semble qu’il lui faille attendre la fin de 1813 pour revoir la France.

Quant aux adjudant-commandants captifs, dont la plupart ont été promus à cette fonction en cours de campagne, c’est Grandsaignes qui débarque en France le premier, sans doute sur parole, dès janvier 1804 ; d’Hénin de Cuvilliers et Huin en mai, Dembowski en juin de la même année rentrent à leur tour, ainsi que Dumont 475 vraisemblablement avant juillet ; Duveyrier est libéré sur parole en juin 1806 ; Néraud s’évade dans le courant de 1809 ; Miani, fait prisonnier à la capitulation de la Martinique, s’évade également d’Angleterre en 1812 mais meurt sans doute noyé pendant la traversée vers la France, car nul n’en entendit plus jamais parler ; Lefebvre-Desvaux enfin fait parti des malchanceux qui doivent attendre l’abdication de Napoléon pour rentrer, en juin 1814. Subsiste le cas de l’adjudant-commandant Boscus, qui est compris dans les prisonniers lors de la capitulation de Rochambeau au Cap le 30 novembre 1803, mais dont le sort n’est consigné nulle part …

Enfin, les chefs de brigade : Montfort rentre début 1804, suite à la capitulation de Sainte-Lucie ; Moulut est libéré sur parole en juillet 1804, tout comme Dubreton ; Luzy rentre en septembre et Berger à une date indéterminée de la même année ; Cambrelin, (Louis) Aussenac, Cachedenier et Panisse sont rapatriés en 1810 avec la garnison de Santo Domingo après la capitulation de du Barquier ; Félix est également libéré, sur parole ou par échange, la même année ; Madier de la Martine, fait prisonnier à la Martinique en 1809, s’évade d’Angleterre dix mois plus tard.

Sauf à faire embaumer sa dépouille, comme Leclerc, il n’existe donc que trois moyens de rentrer en France pour les officiers coloniaux : le renvoi pur et simple pour raison disciplinaire, le départ plus ou moins volontaire, et la libération des camps de prisonniers britanniques.

Les renvois, généralement justifiés par une attitude indigne ou incompétente, voire délictueuse, servent le plus souvent, on l’a vu, à masquer l’éviction politique d’un gêneur : Humbert sert de bouc émissaire pour justifier les échecs militaires du début de campagne ; Clauzel et Thouvenot pour leur projet de coup d’état contre Rochambeau ; Desfourneaux parce qu’il indispose les colons … Le motif souvent invoqué de malversations financières ou de pillage n’est en fait jamais véritablement retenu contre les officiers supérieurs : d’Arbois de Jubainville, Brunet, Sarrazin ou Lavalette du Verdier, parmi les pires spécimens des armées expéditionnaires, ne sont jamais inquiétés tant qu’ils n’entrent pas en opposition avec la politique du capitaine général. Ce sont ceux qui la critiquent qui sont sacrifiés sur l’autel de la « justice » militaire. Si des officiers de tous grades sont parfois arrêtés et détenus, les cours martiales ne jugent aucun officier au-delà du grade de chef de bataillon ou d’escadron. Les commandants Provin et Hautière sont condamnés pour n’avoir pas compris cette règle : leur grade encore trop subalterne ne leur confère pas l’impunité de leurs supérieurs !

Ceux absolument inattaquables du point de vue de l’intégrité, tels Quantin ou Desbureaux, demandent ou se voient « autorisés » à rentrer pour raison de santé. Allix de Vaux entre sans doute également dans cette catégorie, inculpé pour n’avoir pas compris les premières invitations à s’éloigner, puis blanchi une fois le message rendu parfaitement clair. D’autres rentrent en France une fois leur fortune faite ou un nouveau galon obtenu, comme (Pierre) Devaux ou Pamphile de Lacroix.

Enfin, les prisonniers détenus par les Anglais sont libérés au compte-gouttes tout au long de l’Empire. Le peu d’empressement à échanger certains officiers majeurs, tels Rochambeau, Brunet ou le frère de l’amiral Villaret témoigne bien du courroux de l’Empereur à l’égard de ces officiers, soit qu’il les juge responsables de la perte des colonies à leur charge, soit qu’il leur tienne apparemment grief des méfaits qu’ils ont pu y commettre … C’est ainsi que des officiers comme Brunet, Houdetot, Lefebvre-Desvaux ne sont jamais échangés et restent pour certains jusqu’à onze années en captivité.

Notes
475.

Contrairement à ce qui est indiqué dans le Dictionnaire des colonels (Danielle & Bernard Quintin, Paris, S.P.M., 1996), p.306, Dumont n’est pas rentré en France à l’occasion de l’autorisation qui lui en a été donnée par Rochambeau le 28 septembre 1803 : commandant alors le fort Dauphin, il est capturé dix jours plus tard, le 7 octobre, par les rebelles qui l’attirent dans un guet-apens sous prétexte de pourparlers. Le capitaine de la Royal Navy William Bligh, ignorant ce détail, attaque le fort Dauphin au même moment et s’en empare facilement. Apprenant par les prisonniers le sort de leur chef, Bligh refuse alors de manière chevaleresque de tirer profit de sa victoire sur un ennemi ainsi décapité avant le combat : il fait libérer les prisonniers, leur rend leurs armes et leur poste, et intime l’ordre aux rebelles de lui remettre Dumont. Ceux-ci s’exécutent, mais Bligh ne pousse pas la générosité jusqu’à libérer également celui-ci, et le garde prisonnier, ce qui néanmoins lui sauve sans doute la vie …

Ne pas confondre le capitaine William Bligh ici mentionné, avec le capitaine John Blight rendu célèbre par la mutinerie de son navire « Bounty ».