4.4.3 - 1812 : la campagne de Russie

Dès 1811, Napoléon gonfle ses effectifs en Allemagne en vue d’une guerre avec la Russie. Pour encadrer les nouvelles unités créées, il a besoin d’officiers, qu’il va ponctionner dans les armées existant déjà, ou tirer de leur retraite.

Néanmoins, aucun des divisionnaires revenus des colonies ne sera appelé à y participer, quoique Rochambeau, rentré de captivité six mois avant le déclenchement des hostilités, ait été disponible. Mais à cette époque, Napoléon pouvait encore se permettre le luxe de refuser les services de celui sur qui on rejetait communément l’entière responsabilité de la perte de Saint-Domingue. Toutefois, deux vétérans des colonies participent à cette funeste campagne dans ce grade, acquis depuis leur retour sur le continent, mais à la tête de troupes étrangères : Allix de Vaux au service de la Westphalie, et Claparède à la tête des redoutables Polonais de la Légion de la Vistule. Claparède, donc, qui une fois encore se taille la part du lion, comme plusieurs anciens aides de camp de Leclerc gravitant toujours autour de Davout : Musquinet de Beaupré, Dalton, Leclerc de Essarts, et d’autres officiers d’état-major subalternes. On trouve également des officiers rentrés de Santo Domingo ou des geôles anglaises depuis peu, et qui n’ont pas eu autant à souffrir de l’ostracisme impérial que leurs prédécesseurs : (Jacques) Boyé, d’Hénin, Néraud et Cachedenier 497 . Enfin, outre Claparède rappelé d’Espagne pour l’occasion, trois officiers (deux généraux de brigade et un adjudant-commandant) seulement sont suffisamment bien vus de l’Empereur pour être tirés des armées de Hollande, d’Allemagne ou de Naples où ils servaient pour être employés à la Grande Armée : respectivement Amey, Bachelu et Néraud. Ce dernier, quoique aide de camp et commandant de la Garde de Rochambeau à Saint-Domingue, ce qui aurait du ruiner sa carrière, avait toutefois l’avantage d’avoir été un proche du général Bonaparte en Egypte, comme le faisait remarquer avec perfidie Pélage Marie Duboÿs, témoin de l’agonie de Port-au-Prince : « L'ordre du jour en fait honneur au chef de brigade Nerond [Néraud], espèce de jacobin et de terroriste, mais ayant appartenu à l'armée d'Egypte et sous ce point de vue, officier intéressant pour le général Rochambeau, qui n'était pas fâché de faire la cour au 1er Consul, en proclamant ainsi un de ses compagnons d'Egypte » 498 . Un autre colon, Hardivilliers, n’était pas plus tendre avec lui : « Néraud (c’est une autre bête féroce, commandant de la place) » 499 . Son ancienne relation privilégiée avec l’Empereur vaudra à Néraud d’être employé dès son retour et de ne croupir que deux ans en exil à l’armée de Naples …

Ils ne sont donc pas nombreux, les « coloniaux », à goûter au froid de la Russie après les jungles tropicales des Antilles. Tout au plus une douzaine, en comptant Leclerc des Essarts. Par contre, ils sont étonnement nombreux à en revenir indemnes : si l’adjudant-commandant Néraud meurt à Wilna en décembre 1812, c’est des blessures reçues en défendant la ville. Seul le général Musquinet de Beaupré meurt d’épuisement ou de maladie en Allemagne à l’issue de la campagne : il faut dire qu’à soixante-quatre ans, l’oncle du général Leclerc a peut-être présumé de ses forces … Un autre est perdu pour la cause impériale, mais n’est pas tant à plaindre : (Jacques) Boyé, fait prisonnier à la Bérézina, est conduit captif en Russie, s’y marie et se fixe à Saint Petersburg pour le restant de ses jours.

Toujours est-il que le froid pas plus que les maladies tropicales n’est parvenu à atteindre ces hommes à la santé de fer, et tous les survivants seront présents pour la campagne de Saxe, dans les corps de bataille pour la plupart, valides, ou à la tête d’une garnison pour Dalton, qui se remet d’une blessure reçue à Smolensk …

Notes
497.

Toutefois, ce dernier n’est replacé que comme major dans les troupes de la Grande Armée en janvier 1810, alors que débarqué capitaine à Saint-Domingue en 1802, il avait atteint le grade de colonel sous Barquier à Santo Domingo en 1809 …

498.

Lettre ouverte de Pélage Marie Duboÿs, 20 mai 1803

499.

Begouën-Demeaux, Op. Cit., p.231