1.4.1 - L’enthousiasme

Peu nombreuses sont les unités véritablement désireuses de passer aux colonies. En fait, presque toutes les propositions volontaires d’emploi outre-mer (hors officiers) proviennent d’artilleurs, soit de la Marine, soit d’anciens du corps royal d’artillerie des colonies. Ainsi, sur cent dix-neuf artilleurs intégrés à son bataillon expéditionnaire 606 , Desfourneaux compte soixante-trois canonniers volontaires, donc plus de la moitié. Certains gardes-côtes, eux-mêmes vétérans des colonies, se portent même volontaires en unité constituée, comme la 11e compagnie de cette arme du capitaine Maudon : « Cette disposition est fondée sur la demande faite par le conseil d’administration de cette compagnie qui expose qu’elle est composée en majeure partie d’hommes accoutumés à la mer, au service colonial et au climat de l’Amérique et de l’Inde. J’ai l’honneur (…) de soumettre cette disposition à votre approbation » 607 . L’offre est bien entendu immédiatement acceptée et ces hommes confiés au général Boudet : « Cette compagnie forte de 88 hommes est composée en majeure partie d’hommes habitués à la mer et au service colonial » 608 . L’enthousiasme de cette seule compagnie a-t-elle eu une influence quelconque sur la décision, plus tard, de presser en bataillons d’infanterie des centaines de gardes-côtes pour les envoyer à Saint-Domingue ou la Guadeloupe ? Toujours est-il qu’une seule autre unité se portera volontaire pour le service colonial : la Légion de la Loire. Alors qu’un bataillon ad hoc tiré de son dépôt a été embarqué dès le projet d’expédition de Desfourneaux, le chef de brigade Drouin qui commande la légion, ayant vainement tenté d’embarquer lui aussi, écrit au ministre de la Guerre pour porter l’intégralité de celle-ci volontaire, sur la base de ce que : « les dispositions des trois corps qui forment la Légion de la Loire sont les plus favorables qu’on puisse rencontrer pour les expéditions d’outre-mer, seules expéditions dans lesquelles on puisse se rendre utile au gouvernement depuis la paix sur le continent » 609 . Toutefois, impossible de savoir si son sentiment est partagé par les hommes sous son commandement, ou s’il n’agit que pour satisfaire sa propre ambition ...

Il y a également ceux qui, s’ils n’ont pas demandé à servir outre-mer, se satisfont de cette occasion d’accrocher de nouveaux honneurs à leur drapeau, comme les hommes de la 5e demi-brigade légère, troupe d’élite de l’armée de Saint-Domingue. Peu avant le débarquement, dont ils sont le fer de lance dans l’assaut contre fort Dauphin, chasseurs et carabiniers de cette unité prennent « l’engagement réciproque de ne point reculer d’un pas dans aucune affaire et de seconder ainsi de tous leurs efforts des officiers qu’ils estimaient » 610 . Rare unité encore constituée après l’évacuation de Saint-Domingue, ses survivants formeront à Cuba le noyau des renforts destinés à rejoindre le général Kerverseau à Santo Domingo, mais la majeure partie périra en mer avec le général Lavalette du Verdier, au cours d’un naufrage dans les récifs des Jardinas de la Reina. C’est d’ailleurs dans les rangs de cette demi-brigade que Rochambeau place son fils Philippe comme sous-lieutenant, pour qu’il soit « toujours sur la brèche, qu’il fasse son chemin à la pointe de son épée » 611 .

D’autres se portent volontaires, mais ne sont bizarrement pas retenus, comme le régiment des dromadaires 612 de l’armée d’Egypte : à une époque où l’on croyait tant en les vertus de l’« acclimatation » à la chaleur dans quelque pays tropical qu’on soit allé, cette unité représentait pourtant l’une des plus expérimentées et des mieux adaptées au service colonial. Mais le premier Consul ne prête pas les unités de sa Garde, ou ce qui sera bientôt telle … Leclerc réclamait pourtant cette unité à grands cris.

Figure 10 : Cavalier du régiment des dromadaires en Egypte

Notes
606.

Composition du bataillon expéditionnaire organisé le 11 Pluviôse an IX à l’Isle de Ré par le général Desfourneaux, S.H.A.T B71

607.

Berthier à Napoléon, 15 novembre 1801, S.H.A.T B72

608.

Berthier à Boudet, 15 novembre 1801, S.H.A.T B72

609.

Drouin à Napoléon, 16 octobre 1801, S.H.A.T B71

610.

Brisset (cdt), Historique du 80 e de ligne, Paris, Librairie militaire J. Dumaine, 1876, p.14. Le 80e de ligne est le descendant du 5e Léger …

611.

Rochambeau à Fressinet, 30 mars 1803, S.H.A.T., MR 594

612.

Cavalier (chef de brigade du régiment des dromadaires) à Leclerc, 23 novembre 1801. Lettre mentionnée mais non reproduite dans Lettres du général Leclerc n°83.