2 - Recrutement des troupes coloniales

A l’article « Troupes coloniales » de son Dictionnaire de la Grande Armée, Alain Pigeard écrit : « Il n’y a pas, sous le Consulat et l’Empire, d’infanterie coloniale distincte de l’infanterie de ligne. Les troupes employées aux colonies font parties des régiments de ligne et des corps hors ligne de l’infanterie » 653 . C’est rigoureusement exact. Toutefois, certaines unités hors ligne sont plus que tout autre prédestinées au service colonial, ou du moins à servir le plus loin possible de la métropole. En 1800, à l’avènement du Consulat, l’infanterie hors ligne, française et étrangère réunies, représentait environ 10% de la masse totale de l’infanterie. Pourtant, au sein des armées expéditionnaires, cette infanterie hors ligne représente environ un tiers des envois initiaux, et plus de 40% de l’effectif total envoyé entre 1802 et 1805, et ce sans compter les détachements des dépôts coloniaux, envoyés au compte-gouttes et qui n’ont pas d’identité nationale particulière ! Il y a donc une surreprésentation flagrante de ces unités par rapport à la place qu’elles occupent dans l’armée, surtout dans les renforts envoyés après le mois de mai 1802 pour combler les pertes dues aux maladies.

La raison de cette surreprésentation est double. Tout d’abord, les troupes hors ligne, au contraire des troupes régulières constituées et maintenues à un effectif standard par la conscription, se recrutent théoriquement sur la base du volontariat et sont destinées à attirer une certaine catégorie d’hommes en particulier selon l’unité. Ainsi lorsque le premier Consul décide la formation de la Légion du Midi dans les territoires piémontais récemment annexés à la France, il a l’ambition d’y réunir les anciens soldats inemployés du roi de Sardaigne, qui ont tendance à se tourner vers le brigandage. Ces unités ont donc souvent un caractère identitaire très marqué : Légion du Midi composée d’anciens soldats et brigands piémontais, bataillons francs de l’Ouest composés de Chouans, bataillons de déserteurs, … Les caractères en question étant souvent peu recommandables, le gouvernement n’a généralement aucun scrupule à les envoyer au loin parmi les premières .... Le second motif est purement financier. Les troupes hors ligne sont souvent mieux payées que les troupes régulières, de manière à attirer les volontaires, et coûtent donc beaucoup plus cher que ces dernières. Or lorsque la paix est signée en Europe avec l’Autriche puis l’Angleterre, le gouvernement ramène l’armée sur le pied de paix et réduit donc considérablement les effectifs. Mais si les soldats issus de la conscription sont heureux de retourner dans leur foyer, l’attitude à adopter vis-à-vis des unités « mercenaires »  est plus ambiguë? Les licencier signifierait renvoyer des hommes turbulents ou indésirables que l’on a tout fait pour éloigner de chez eux, mais les conserver en tant de paix représenterait un coût prohibitif pour une utilité minimale. C’est sans doute pour justifier ce coût que les troupes hors ligne furent envoyées en grand nombre aux colonies, et particulièrement sur la fin, lorsque cette fois les ravages de la maladie furent connus. Sans doute celles désignées avec la première vague le furent pour justifier leur paie, elles sont par la suite victime du cynisme économique du gouvernement : quitte alors à sacrifier des troupes, autant que cela soit des unités onéreuses et composées d’indésirables …

A travers l’étude du mode de recrutement et de la composition de ces unités, nous verrons exactement quels types d’hommes sont ciblés au sein de celles de ces unités hors ligne envoyées aux colonies …

Notes
653.

Pigeard (Alain), Dictionnaire de la Grande Armée, Paris, Tallandier, 2002, p.574