2.1.5 - Retour en France

Les soldats rescapés des colonies, le plus souvent des malades et blessés ou des cadres évacués avant la capitulation finale des corps expéditionnaires, et plus tard des prisonniers échangés ou évadés, sont à leur arrivée en métropole regroupés au sein de trois régiments : le 66e de ligne pour ceux qui rentrent de la Guadeloupe, du 82e de ligne pour ceux de la Martinique, et du 86e de ligne pour les survivants de Saint-Domingue. Ces régiments, exception faite des détachements aux Antilles, restent en garnison dans le Sud-Ouest pendant toute la période 1805-1807, et ne sont finalement employés que pendant la guerre d’Espagne et du Portugal, théâtre d’opération que l’Empereur ne visitera que brièvement fin 1808. Les rescapés de Santo Domingo, rapatriés plus tardivement, sont répartis dans les régiments de l’armée du Portugal, la plus isolée de Paris à cette date. A leur retour en métropole, les officiers et sous-officiers de ces régiments se voient généralement refuser la reconnaissance de leur(s) grade(s) acquis au cours d’une campagne de parfois sept années pour les plus anciens d’entre eux 704 , l’administration privilégiant les cadres ayant acquit leur grade à l’ancienneté en France ; leurs arriérés de soldes leur sont contestés par le gouvernement qui, in fine, ne les paiera pas. « Pour couronner tous ces actes d’iniquité, le 86 e régiment d’infanterie de ligne (…) ne reçut pas une seule croix. C’était l’époque où cette nouvelle décoration venait d’être distribuée à tous les corps de l’armée : le 86 e seul en fut privé » 705 . De même, ces régiments relégués pendant tout l’Empire dans le Sud-Ouest puis dans la péninsule ibérique, ne combattront sous les yeux de l’Empereur qu’à partir de 1813, date à laquelle leur proscription n’a plus lieu d’être devant la pénurie de bonnes troupes causée par le désastre de Russie. Néanmoins, malgré cet apparent retour en grâce, il est à noter qu’outre l’injustice qui leur est faite à la remise des légions d’honneur, ces régiments sont parmi ceux ayant le moins de noms de bataille (ou « Honneurs de bataille ») au drapeau : le 82e n’en a qu’un datant de 1793, et le 86e, celui des vétérans de Saint-Domingue, le plus injustement traité, n’en a pas un ! Cette distinction accordée personnellement par l’Empereur aux régiments méritants ne le fut que deux fois aux coloniaux sous l’Empire, au 66e de ligne 706 .

Peyre-Ferry et Lemonnier-Delafosse, rentrés le premier en 1803, le second en 1809, rapportent tous deux les mêmes traitements tracassiers, parfois humiliants, de la part des employés du ministère de la Guerre à l’encontre des débris d’armée qui revenaient des Antilles. Lemonnier-Delafosse, aspirant de marine ayant servi pendant plus de cinq ans comme officier du génie à Saint-Domingue, se voit refuser sa reconnaissance par ce corps. Il est placé dans l’infanterie en 1810, au 31e Léger, une unité destinée à faire campagne au Portugal avec Masséna. Il s’agit là de la seule armée devant combattre les Britanniques, or tous les officiers rescapés de Santo Domingo ont donné leur parole, en échange de leur retour en Europe, de ne pas servir contre les Britanniques : « Tous nos officiers appartenant à l’infanterie reçurent cette même destination : on faisait, comme on voit, bon marché de notre parole de prisonnier ; nous qui ne devions pas combattre contre les Anglais ni même contre leurs alliés pendant trois ans, on nous envoyait devant une de leurs armées : en faire l’observation pouvait nuire » 707 .

Peyre-Ferry veut croire Napoléon ignorant du traitement qui est infligé aux vétérans de Saint-Domingue, mais il conclut : « Il est douloureux de penser qu’il existe un système de haine bien caractérisé contre les officiers qui ont servi à Saint-Domingue. La conduite qu’on ne cesse de tenir envers ceux du 86 e régiment (…) en est la preuve la plus irréfutable » 708 .

Notes
704.

Lemonnier-Delafosse a été blessé au tout premier jour de la campagne de Saint-Domingue (4 février 1802) et n’a quitté cette île que par la capitulation de Santo Domingo (27 juillet 1809) !

705.

Peyre-Ferry, Op. Cit., p.220

706.

« Oporto 1809 » et « Fuentes de Oñoro 1811 ».

707.

Lemonnier-Delafosse (cne Jean-Baptiste), Campagne de 1810 à 1815 : Souvenirs militaires, Le Havre, Imprimerie du Commerce, 1850, p.15

708.

Ibid, p.221