Introduction

La demande de transport de marchandises à travers les Alpes a connu une croissance soutenue au cours des dernières décennies. Les volumes de transport d’échange bilatéral franco-italien sont ainsi passés de dix-sept millions de tonnes de marchandises en 1984 à près de trente millions en 2005 (Alpinfo, 2006). En étendant l’analyse à l’ensemble de l’arc alpin, une aire s’étendant du col du Brenner (en Autriche) au passage littoral de Vintimille le long de la Méditerranée, les volumes de transport de marchandises ont doublé en passant d’environ cinquante millions à cent millions de tonnes entre 1984 et 2005.

Il est difficile de remonter au-delà des années 1980 pour se figurer la croissance de la demande de transport transalpin sur une période plus longue période. Un détour par l’offre permet cependant d’apprécier la croissance rapide de la demande. Il faut par exemple rappeler que les tunnels routiers du Fréjus (France) ou du Saint-Gotthard (Suisse) ont été ouverts à la circulation dans les années 1980. Le tunnel du Mont-Blanc est le plus ancien tunnel routier transalpin puisqu’il a été inauguré en 1965. Cela signifie qu’il n’existait pas, avant cette date, de passage routier ouvert toute l’année sur un espace allant du passage littoral de Vintimille au col router du Brenner en Autriche. La traversée des Alpes par la route était alors soumise aux conditions météorologiques et à l’enneigement en hiver. Rappelons cependant, pour nuancer l’idée du caractère infranchissable des traversées alpines, qu’il existait, avant le percement des tunnels routiers, un service de navette permettant aux automobiles de traverser les Alpes via les tunnels ferroviaires.

Ces premières considérations soulignent deux caractéristiques de la demande de transport de marchandises à travers les Alpes à savoir une croissance soutenue et la rareté des passages à travers l’arc alpin. La croissance soutenue de la demande et la rareté de l’offre conduit à s’interroger sur la capacité des infrastructures de transport de marchandises à travers les Alpes. La question de la capacité ou de la congestion est par exemple au centre des débats entourant le percement d’une nouvelle infrastructure de transport ferroviaire entre Lyon et Turin. L’audit sur les grandes infrastructures de transport (CGPC et IGF, 2003) recommandait ainsi de retarder le percement du tunnel Lyon-Turin en estimant qu’il est « […] improbable que les infrastructures existantes soient saturées en 2015 » (p.63). Compte tenu des délais nécessaires à la réalisation de toute nouvelle infrastructure de transport dans cet espace géographiquement contraint, la question de la saturation des infrastructures de transport est étroitement liée à celle de la prévision de la demande de transport de marchandises à moyen et long terme. C’est cette question qui figure au cœur du présent travail.

La prévision de la demande de transport de marchandises à moyen ou long terme ne figure toutefois pas parmi les grandes interrogations de la recherche académique où l’influence de la recherche nord-américaine amène parfois à réduire la modélisation de la demande de transport de marchandises aux modèles de choix modal (Winston, 1985). Cela étant, il existe en France une certaine tradition de modélisation de la demande de transport de marchandises (ou de voyageurs) à moyen ou long terme.

Le présent travail se situe explicitement dans le prolongement de ces recherches. Parmi elles, se retrouve un certain nombre de travaux réalisés au laboratoire d’économie des transports de Lyon. Ces travaux correspondent aux différentes modélisations quin-quin appliquées au transport de marchandises. Le premier travail de ce type est la thèse de Céline Gabella-Latreille (1997) qui considère les déterminants de long terme des flux de transport de marchandises en France. Cette recherche est prolongée par une application aux flux de transport franco-italien (LET, 1997b) et aux flux de transport dans la vallée du Rhône (Gabella-Latreille, 1999). Toujours au laboratoire d’économie des transports, la thèse de Sandrine Durand (2001) développe une version spatialisée du modèle quin-quin fret.

Le présent travail poursuit également des recherches réalisées en dehors du laboratoire d’économie des transports parmi lesquelles se trouvent thèses de Karine Meyer (1998) ou d’Anne Lenormand (2002). Ces recherches furent, en France, parmi les premières applications de récents développements de l’économétrie des séries temporelles à la modélisation de la demande de transport de marchandises. Cet ensemble de travaux, auquel il convient d’ajouter la récente thèse de Wissem Attia (2006), correspond donc aux recherches ayant le plus inspiré le présent travail.

L’objet de la présente recherche est de prévoir la demande de transport de marchandises à travers les Alpes aux horizons 2015 et 2030. La méthodologie retenue pour déterminer les déterminants de la croissance de la demande de transport de marchandises est, comme dans les travaux précèdent, la méthodologie économétrique consistant à estimer les déterminants de long terme de la demande de transport de marchandises à partir de séries temporelles de type macroéconomiques.

Cette recherche est organisée en trois parties. La première partie examine les modèles utilisés pour estimer les variables déterminant la demande de transport de marchandises à long terme. Le premier chapitre offre une revue des fonctions de demande de transport de marchandises à long terme. Ce chapitre souligne en premier lieu le caractère restreint de ces recherches en économie des transports au regard de l’étendue des travaux consacrés aux modèles de choix modal par exemple. Deux éléments viennent nuancer ce constat. En premier lieu, la progressive prise de conscience des effets néfastes des transports sur l’environnement conduit à interroger les déterminants de long terme de la demande de transport de marchandises. En second lieu, le développement de nouveaux outils de l’économétrie des séries temporelles offre de nouvelles perspectives aux chercheurs. Ces deux éléments contribuent à expliquer le développement de modèles de demande de transport de marchandises à long terme. Au terme de ce chapitre, il apparaît que ces travaux soulignent le rôle de l’activité économique comme étant le principal déterminant de la demande de transport de marchandises à long terme.

Le second chapitre revient sur la relation entre la demande de transport de marchandises et l’activité économique en soulevant la question de la stabilité de ce lien. L’observation d’une relation étroite entre la demande de transport de marchandises et l’activité économique a conduit des chercheurs à interroger les éléments pouvant permettre de casser cette relation en raison des effets néfastes générés par la croissance de la demande de transport (e. g. émissions de gaz à effet de serre, croissance de la consommation énergétique). Ces recherches, également entendues comme étant la problématique du couplage ou du découplage, ont trouvé des prolongements naturels en observant de récents cas de découplage au Royaume-Uni (McKinnon, 2007) ou au Danemark (Kveiborg et Fosgerau, 2007). Le chapitre revient dans un premier temps sur ces recherches puis avance un modèle de décomposition du couplage en quatre facteurs de couplage ou découplage utilisant la méthodologie économétrique.

La deuxième partie du travail estime la relation entre la demande de transport de marchandises à travers les Alpes et l’activité économique ou industrielle italienne. Le troisième chapitre utilise une relation économétrique en taux de croissance directement inspirée par le modèle quin-quin fret. L’estimation économétrique est réalisée à partir de séries temporelles tant agrégées que désagrégées par catégories de produits. Le quatrième chapitre poursuit cette analyse en appliquant des techniques issues des récents développements de l’économétrie des séries temporelles en utilisant la donne employée dans le chapitre précédent.

La troisième partie du travail utilise les résultats de la seconde partie pour prévoir la demande de transport de marchandises à horizon 2015 et 2030. Le cinquième chapitre rapporte les volumes de transport globaux (tous modes confondus) prévus aux horizons 2015 et 2030. Ces prévisions sont comparées aux volumes de transport prévus par l’exercice LTF (2003). Enfin, le sixième chapitre corrige les prévisions LTF en désagrégeant les volumes de transport par mode et par passage selon différents scénarios.