La recherche en économie des transports est, selon Rietveld et Vickerman (2004), dominée par trois thèmes de recherche :
La demande de transport figure donc parmi les principaux thèmes de la recherche en économie des transports à travers les problématiques de choix modal ou de choix d’itinéraires. En revanche, l’estimation des déterminants de la demande de transport à long terme ne figurent pas parmi les principaux programmes de recherche en économie des transports. Autrement dit, la recherche en économie des transports consacrent son attention aux problématiques de choix modal, venant peu se soucier de la génération de la demande de transport.
Les nombreuses revues de la littérature consacrées aux fonctions de demande de transport de marchandises témoignent du faible intérêt des chercheurs pour la problématique de génération de la demande de transport. Celles-ci ne reviennent en effet qu’exceptionnellement sur cette problématique. Par exemple, si une partie de la large revue de littérature de Winston (1985) est consacrée aux fonctions de demande de transport, celle-ci est exclusivement dédiée aux modèles de choix modal :
‘ The research on the demand for passenger and freight transportation has been motivated by an interest in estimating key parameters of the users of various transportation modes (e. g., their elasticities with respect to modal attributes such as price or service time) and their value of travel time 1 (Winston, 1985, p.69).’Winston (1985) oppose alors les modèles de demande agrégés aux modèles de demande désagrégés selon la nature des données utilisées. Plus tard, Zlatoper et Austrian (1989) retiennent également cette opposition pour présenter un certain nombre de modèles de demande de transport de marchandises. Enfin, les articles de Oum et al. (1990, 1992) proposent également une extensive revue des élasticités-prix de la demande de transport de marchandises et de voyageurs à partir de recherches menées dans les années 1980. Il existe donc une large littérature consacrée à la demande de transport de marchandises. Cet ensemble d’articles concentre toutefois son attention sur la problématique de choix modal et se structure autour de l’opposition entre les modèles agrégés et les modèles désagrégés. Oum (1989) nuance cette opposition en expliquant que le choix du modèle dépend de l’objet d’étude et de la disponibilité des données. Il convient également ici de remarquer que l’opposition entre modèles agrégés et modèles désagrégés s’applique aux modèles de répartition modale. Cette opposition n’a guère de sens pour les modèles de prévision de la demande de transport de marchandises à long terme car les modèles de prévision de la demande de marchandises à long terme sont presque exclusivement des modèles agrégés.
Quelques revues de littérature élargissent toutefois leur objet au-delà des modèles de choix modal. Par exemple, Harker (1987) ou Harker et Friesz (1986) distinguent trois catégories de modèles de prévision de la demande de transport : les modèles économétriques, les modèles d’équilibre généraux par les prix et les modèles d’équilibre de réseau. Les modèles économétriques correspondent aux modèles (agrégés ou désagrégés) de choix modal présentés dans les revues précédentes. Harker (1987) développe ensuite un modèle d’équilibre de réseau. Ce type de modèle est également celui du modèle de Jourquin (1996) ou du modèle STAN (Crainic et al., 1990 ; Crainic et al., 1991 ; Guélat et al., 1990). Ce sont des modèles combinant choix d’itinéraires et choix modal.
Regan et Garrido (2002) distinguent les modèles de demande de transport de marchandises selon leur envergure. Ils distinguent ainsi les modèles de transport international, les modèles de transport de marchandises interurbains et les modèles de transport de marchandises en ville (TMV). Les modèles de génération figurent dans ce travail sans pour autant constituer un thème de recherche clairement identifié. Au vue de ces quelques revues de littérature, la problématique de génération de la demande de transport peut alors apparaître comme un programme de recherche relativement hétérodoxe en économie des transports.
Il faut attendre l’article de De Jong et al. (2004) pour voir explicitement apparaître les modèles de génération de la demande de transport de marchandises dans une revue de la littérature. Consacrée aux modèles réalisés depuis la fin des années 1980 en Europe, cette revue se distingue des autres travaux de ce type en retenant comme grille de lecture de la littérature une classification selon les quatre étapes de la modélisation – à savoir les étapes de génération, distribution, répartition et affectation. Ailleurs, Graham et Glaister (2004) reviennent également brièvement sur la problématique de génération de la demande de transport de marchandises en mentionnant un certain nombre de travaux destinés à estimer l’élasticité de la demande de transport de marchandises par rapport PIB.
La problématique de génération de la demande de transport semble donc être un programme de recherche relativement original dans la littérature, en particulier par rapport aux modèles de choix modal ou d’itinéraires. Vickerman (2002) et Rietveld et Vickerman (2004) avancent une explication au faible intérêt des chercheurs pour les modèles de génération de la demande de transport de marchandises. Ils estiment que la prévision de la demande de transport était longtemps guidée par le principe du predict and provide (prévoir et fournir) nécessitant pas une analyse spécifiquement économique. Ces chercheurs considèrent que cette situation a évolué depuis une quinzaine d’années. La progressive prise de conscience des enjeux environnementaux oriente la recherche en économie des transports vers de nouvelles problématiques amenant, par exemple, un nombre croissant de recherches à s’interroger sur les facteurs déterminant la demande de transport à long terme. En suivant Rietveld et Vickerman, la problématique de génération de la demande de transport devient alors un programme de recherche nécessitant une analyse spécifiquement économique.
Au final, il semble que le constat d’un faible intérêt des chercheurs pour la génération de la demande de transport de marchandises domine en dépit de l’intérêt récent des chercheurs pour le sujet. Ce constat est peut-être renforcé par le développement tardif des modèles de demande de transport de marchandises par rapport aux modèles de transport de voyageurs (Ortuzar et Willumsen, 2006). Regan et Garrido (2002) expliquent le développement tardif des modèles de transport de marchandises i) par les difficultés qui existent à identifier les acteurs participant au processus de décision dans le transport de marchandises, ii) par le caractère concurrentiel d’un marché dans lequel les entreprises privées exercent une légitime rétention d’information et iii) par le rôle marginal du fret dans la congestion des centres urbains qui anime le débat public.
Les modèles de génération de la demande de transport de marchandises apparaissent donc comme un programme de recherche en retrait par rapport à d’autres dimensions de la modélisation de la demande de transport. Dans ce qui suit, les modèles de génération de la demande de transport sont nénamoins présentés. Cette revue de la littérature identifie deux catégories de modèles de génération de la demande de transport de marchandises.
Dans une première section, les modèles issus de l’économie internationale et, plus particulièrement, de l’équation gravitaire, sont présentés. Les modèles gravitaires purs permettent d’expliquer la distribution des flux de transport à partir de données croisées mais s’avèrent peu pertinents pour prévoir la demande de transport de marchandises à long terme. Il existe néanmoins des modèles inspirés de l’équation gravitaire qui associent des caractéristiques de modèle de génération et de modèle de distribution permettant de prévoir de la demande de transport de marchandises. Il s’agit des modèles input-output multi-régionaux et du modèle des coefficients structurels. Une architecture de ce type est par exemple retenue par des modèles d’envergure nationale ou européenne.
Par leur caractère spatialisé, ces modèles se distinguent des modèles économétriques agrégés qui font l’objet d’une seconde section. Les fonctions économétriques de demande de transport de marchandises reposent sur l’estimation de la relation (agrégée) entre la demande de transport de marchandises et un ensemble de variables explicatives parmi lesquelles se trouvent l’activité industrielle ou l’activité économique. Ces modèles reposent sur des fondements théoriques frustes et ont souvent mis en œuvre des techniques économétriques relativement sommaires. La seconde section de ce chapitre montre néanmoins que l’application de nouvelles techniques économétriques issues de l’économétrie des séries temporelles représente un facteur de renouvellement intéressant pour ce champ de recherche.
La recherche sur la demande de transport de voyageurs ou marchandises est principalement motivée par un intérêt portant sur l’estimation des paramètres-clés des usagers des différents modes de transports (par exemple leur élasticité par rapport caractéristiques du mode de transport comme le prix ou le temps) et leur valeur du temps.