I.1. Le modèle double-logarithmique

Le modèle double-logarithmique repose sur l’idée selon laquelle la demande de transport de marchandises est une demande dérivée de la production économique.

Une fonction de type Cobb-Douglas (à une seule variable) peut représenter cette relation

A partir de l’équation (1.2), il est possible d’écrire :

L’équation (1.4) indique que le paramètre α est égal à l’élasticité de la demande de transport par rapport au PIB. Cette élasticité est par ailleurs supposée constante.

Le modèle double-logarithmique est donc aisé à interpréter. Son succès s’explique également par la simplicité de son estimation puisqu’elle peut être réalisée au moyen de la méthode des moindres carrés ordinaires (MCO). Une variante du modèle consiste à changer la variable explicative en remplaçant le PIB par l’indice de la production industrielle puisque le secteur des services est moins directement générateur de transport de marchandises que celui de l’industrie.

De nombreux travaux utilisent le modèle double-logarithmique pour estimer l’élasticité de la demande de transport de marchandises à la croissance économique ou industrielle. Par exemple, Someshwar Rao (1978) explique la demande de transport ferroviaire de marchandises entre 1958 et 1973 au Canada à partir d’un modèle de ce type. Les élasticités estimées sont généralement proches de l’unité mais peuvent varier de façon significative selon la catégorie de marchandises considérée. Bennathan et al. (1992) estiment également la relation entre la demande de transport et la production économique. Ces estimations sont réalisées pour différents types de pays. Dans les pays développés, l’élasticité de la demande de transport routier par rapport au PIB est légèrement inférieure à l’unité. Ce travail montre que l’élasticité de la demande de transport routier de marchandises est supérieure à celle de la demande de transport ferroviaire de marchandises. Il est également observé que l’élasticité de la demande de transport au PIB augmente lorsque les pays en voie de développement sont introduits dans l’échantillon. En revanche, l’élasticité estimée diminue significativement avec l’introduction des anciens pays socialistes. Les auteurs interprètent ce phénomène en observant que la valeur de l’élasticité de la demande de transport par rapport au PIB décroît avec l’intensité du transport routier de marchandises.

En France, Girault et Le Thi Minh (1995) et Le Thi Minh (1995) estiment le trafic routier de marchandises par catégorie de produits à partir de la modélisation double-logarithmique. Les estimations sont réalisées à partir de séries annuelles pour une période allant de 1971 à 1992. Un modèle de simulation des flux de transport de marchandises est ensuite réalisé pour 2010 à partir des prévisions macroéconomiques du Bureau d’information et prévision économique (BIPE). Ce modèle s’inspire largement des modèles développés antérieurement dans l’administration centrale comme par exemple le modèle PRETRAM (Chatard et al., 1981).

Plus généralement, des modèles de ce type sous-tendent la plupart des modèles de prévision de la demande de transport de marchandises réalisés au ministère des transports. La succession de rapports consacrés aux perspectives de croissance de la demande de transport de marchandises illustre cette orientation méthodologie au sein de l’administration centrale. Ainsi, le rapport Transport 2010 (Commissariat général du Plan, 1992) estime, à partir du modèle mini-DMS-transport réalisé par la direction de la prévision, des élasticités de la demande de transport de marchandises par rapport à la croissance du PIB pour chaque mode afin de prévoir la demande de transport de marchandises à horizon 2010. De même, le rapport La demande de transport en 2015 (SES, 1997) utilise également un modèle double-logarithmique pour prévoir la demande de transport routier de marchandises en décomposant ces estimations par catégories de produits.

L’utilisation de ce type de modèle est donc courante dans l’administration et, plus généralement, pour l’ensemble des prévisionnistes en économie des transports (i. e. consultants, exploitants ou gestionnaires d’infrastructure). La seconde partie du présent travail confirme l’utilisation fréquente de modèles de ce type pour prévoir la demande de transport de marchandises à travers les Alpes. Ce modèle présente toutefois des limites importantes en dépit d’une forte significativité (apparente).

Les limites de ce modèle peuvent être illustrées à partir d’un exemple. Considérons la relation entre la demande de transport de marchandises dans les principaux ports maritimes (en tonnes) et la valeur ajoutée de la branche industrielle en France. En retenant des variables annuelles constituées à partir des indices et séries statistiques publiés par l’INSEE, la relation entre les tonnages maritimes et la valeur ajoutée de l’industrie est, en apparence, statistiquement significative. Le coefficient de corrélation de cette estimation est ainsi de 90% et la valeur des coefficients estimés est significativement différente de zéro. L’équation estimée est la suivante :

La Figure 1 souligne la qualité de cet ajustement linéaire. Il est toutefois possible de nuancer l’apparente significativité de cet ajustement. La statistique de Durbin-Watson (égale à 0,50) indique en effet que le modèle estimé présente des erreurs auto-corrélées.

Figure 1. La relation double-logarithmique : le cas des tonnages maritimes français

De plus, il existe également une forte présomption de non-stationnarité puisque la moyenne des variables du modèle semble varier au cours du temps. Le modèle double-logarithmique est donc un modèle fortement biaisé, ce qui incite à nuancer la forte significativité apparente du modèle.

Il existe également une seconde limite du modèle double-logarithmique. Le modèle double-logarithmique fait en effet l’hypothèse d’une constance des élasticités. Or, rien ne permet a priori de justifier cette hypothèse. Cette observation explique la spécification d’un modèle en taux de croissance qui permet de relâcher l’hypothèse d’une élasticité constante, comme le montre la partie qui suit.