II. Les modèles de l’économétrie des séries temporelles

L’économétrie des séries temporelles propose une large variété de modèles pour analyser les relations entre séries temporelles. Il est inutile de présenter en détail ces modèles dans le présent travail. Bresson et Pirotte (1995) offriront au lecteur intéressé une présentation détaillée de ces modèles. L’objet de cette partie consiste à présenter le renouveau de la littérature permis par l’application de ces techniques à la demande de transport de marchandises.

L’application de l’économétrie des séries temporelles a en effet ravivé l’analyse économétrique des déterminants de la demande de transport. Ces techniques sont par exemple désormais couramment employées pour estimer les déterminants de la consommation de carburant (e. g. Alves et al.,2003 ; Bentzen, 1994 ; Eltony et Al-Mutairi, 1995 ; Polemis, 2006 ; Ramanthan, 1999 ; Samimi, 1995). Espey (1998), Goodwin et al. (2004) ou Graham et Glaister (2002a, 2002b, 2004) offrent un aperçu extensif des élasticités-PIB ou des élasticités-prix estimées par cette littérature.

L’économétrie des séries temporelles a également renouvelé la relation entre la demande de transport de marchandises et le PIB. En premier lieu, un certain nombre de travaux a estimé cette relation en utilisant des modèles économétriques autorégressifs. Une modélisation ARIMA est par exemple suivie par Bergel et Mutter (2000) et Bergel (2002) pour estimer les trafics voyageurs et marchandises en France. Dans la même veine, Garrido (2000) estime un modèle conjuguant une auto-corrélation temporelle et des inter-réactions géographiques pour expliquer l’évolution du trafic de poids lourds entre le le Texas et Mexique.

Des estimations faisant intervenir les techniques de la co-intégration sont également présentes dans la littérature. Par exemple, Meersman et Van de Voorde (1999) estiment un modèle à correction d’erreur (ECM, error correction model) pour déterminer la sensibilité de la demande totale de transport terrestre de marchandises en Belgique à la production industrielle belge entre 1974 et 1992. L’élasticité de court terme de la demande de transport de marchandises par rapport à la production industrielle est légèrement supérieure à l’unité (1,11). Le modèle ECM est également appliqué à la demande de transport à d’autres pays européens comme à d’autres modes de transport. Dans tous les pays européens, la variation de la production industrielle entraîne une augmentation du volume global de transport terrestre de marchandises. Une élasticité de court terme significative (et, évidemment, positive) est également estimée pour le transport routier de marchandises. Ce n’est pas toujours le cas du transport ferroviaire de marchandises.

De même, Kulshreshtha et al. (2001) estiment un ECM pour la demande de transport ferroviaire de marchandises en Inde. L’élasticité estimée de la demande de transport ferroviaire par rapport au PIB est positive et inférieure à l’unité (0,34).

Ramanathan (2001) utilise également un ECM pour estimer l’élasticité-PIB et l’élasticité-prix de court terme du transport de marchandises et de voyageurs en Inde. L’élasticité de court terme estimée pour la demande de transport de marchandises par rapport à la production industrielle est proche de l’unité (0,99).

En Espagne, Matas et Raymond (2003) estiment un ECM pour expliquer le trafic autoroutier sur un ensemble de sections payantes. Le modèle utilise une estimation multi-variée en introduisant le prix du transport parmi les variables explicatives. Une élasticité-PIB de 0,9 est estimée en suivant la procédure de Johansen. Coto-Millan et al. (2005) estiment également l’élasticité de long et de court terme de la demande de transport international maritime en Espagne par rapport au prix et à la production économique en suivant la procédure de Johansen. Les élasticités estimées par rapport à la production économiques sont particulières fortes. En revanche, la demande de transport est peu élastique au prix. Coto-Millan et al. (1997) avaient également estimé un ECM pour la demande de transport de voyageurs en Espagne.

Haralambides et Veenstra (1998) et Veenstra et Haralambides (2001) appliquent également la procédure de Johansen pour estimer un vecteur auto-régressif appliqué à la demande de transport maritime intercontinental de marchandises.

Bjorner (1999) utilise aussi la procédure de Johansen pour estimer l’élasticité-prix et l’élasticité-PIB de la demande de transport de marchandises au Danemark. Celui-ci estime une élasticité-PIB de la demande de transport routier de marchandises par rapport au PIB supérieure à l’unité (1,38)

En France, les travaux et la thèse de Karine Meyer (1995, 1996, 1998) utilisent aussi la modélisation à correction d’erreur pour estimer la relation entre la demande de transport terrestre de marchandises et la production industrielle. Ces travaux sont prolongés par la thèse d’Anne Lenormand (2002) qui applique les modèles co-intégrés avec rupture à la relation entre la demande de transport et l’activité économique ou industrielle. Cette analyse utilise le plus souvent une spécification directe de la demande de transport pour chaque mode. Les travaux d’Anne Lenormand concernent également la demande de transport de voyageurs. Ils mettent en évidence l’instabilité de nombreuses relations. Attia (2006) estime aussi un modèle à correction d’erreur en suivant la procédure en deux étapes d’Engle-Granger. Ses estimations révèlent une élasticité-PIB de la demande de transport terrestre national en France inférieure à l’unité (0,71).

Le Tableau 1 reproduit les élasticités de la demande de transport de marchandises par rapport à la production économique ou industrielle estimées en utilisant les techniques de la co-intégration. Il est possible d’observer que les élasticités de court terme sont en général plus faibles que les élasticités de long terme même si ce n’est pas toujours le cas. D’autre part, il existe une certaine convergence entre les différentes estimations puisque les élasticités de court terme estimées sont souvent proches de l’unité. Le transport ferroviaire semble enfin présenter des élasticités plus faibles que le transport routier de marchandises.

Tableau 1. Elasticités de la demande de transport de marchandises estimées à partir des techniques de la co-intégration
  Mode(s) Elasticité de CT Elasticité de LT
Meyer (1995, 1996) Terrestres 1,13 2,22
Meersman et Van de Voorde (1999) Terrestres 1,11 -
Bjorner (1999) Routier 1,38 1,32
Kulshreshtha et al. (2001) Ferroviaire 0,35 0,91
Ramanathan (2001) Terrestres 0,99 1,18
Lenormand (2002) Terrestres 1,32 0,97
Matas et Raymond (2003) Routier 0,89 1,41
Coto-Millan et al. (2005) Maritime 2,00 2,18
Attia (2006) Terrestres 0,71 0,40

Ces travaux montrent que l’application des techniques issues de l’économétrie des séries temporelles et, plus particulièrement, de la co-intégration ont contribué à renouveler la modélisation de la demande de transport de marchandises. En ce sens, il nous semble que l’application de l’économétrie des séries temporelles à la demande de transport est un facteur essentiel pour expliquer le renouveau de cette littérature.

Parallèlement à ces recherches estimant la sensibilité de la demande de transport de marchandises à l’activité économique, des chercheurs se sont intéressés à la problématique de la causalité dans la relation entre ces deux variables.

Lahiri et Yao (2004) estiment ainsi la composante cyclique de la demande de transport de marchandises aux Etats-Unis. Ils observent alors que les cycles de la demande de transport de fret coïncident avec les cycles économiques (business cycles) définis par le National Bureau of Economic Research. Yao (2005) prolonge cette analyse en effectuant un test de causalité au sens de Granger entre les volumes de transport, le volume des inventaires et la production économique. Il montre alors qu’il est possible de rejeter l’hypothèse nulle selon laquelle la demande totale de transport cause la production économique ou industrielle. En revanche, ce travail estime que la production économique ou industrielle est une cause, au sens de Granger, de la demande de transport. L’hypothèse nulle de relation de causalité dans les deux sens ne peut toutefois pas être significativement écartée lorsque le seul transport de marchandises est pris en compte.

De même, Attia (2004, 2006) effectue des tests de causalité au sens de Sims et de Granger sur des séries temporelles françaises. Ce dernier laisse apparaître quelques causalités au sens de Granger ou de Sims entre la production économique et la demande de transport. Enfin, Kulshreshtha et al. (2001) introduisent également dans leur article une analyse impulsionelle du rapport entre la production économique ou industrielle et la demande de transport ferroviaire de marchandises en Inde et la production économique. L’analyse de la causalité entre la demande de transport et la production économique corrobore l’évidence selon laquelle la demande de transport de marchandises est causée par la production économique ou industrielle. La causalité inverse (la demande de transport est la cause de la production économique ou industrielle) est moins souvent significative.