II. La décomposition du couplage

L’idée de décomposer la problématique du couplage en facteurs de couplage ou de découplage est issue de l’économie de l’énergie. Ang et Zhang (2000) en offrent une extensive revue de littérature.

Parmi les décompositions proposées en économie de l’énergie figurent par exemple l’identité de Kaya (1989, cité par Bruce et al.,1996) selon laquelle :

Différentes décompositions ont été appliquées à l’économie des transports. Kwon (2005) adapte par exemple l’identité IPAT au secteur des transports. Cette identité est suggérée par l’équation Impact=PopulationxAffluence x Technology que Kwon (2005) transforme, pour le secteur des transports, en

Kiang et Shipper (1996) et Shipper et al. (1997) décomposent l’intensité énergétique du transport de marchandises en trois facteurs. Il s’agit de l’activité de transport (volume de transport réalisé), la structure de l’activité (part modale) et l’intensité (énergie utilisée par unité de transport). Ces travaux montrent les limites d’une stratégie de découplage uniquement concernée par le progrès technologique puisque la meilleure efficacité énergétique du transport routier ne permet pas de compenser l’augmentation du transport (en tonnes-kilomètres) et celle de la part modale du transport routier. Ceci corrobore l’idée selon laquelle le découplage technologique (ou découplage partiel) est insuffisant pour compenser le couplage (absolu) entre le transport et la croissance économique (Bagard et al. 2002).

Enfin, Steenhof et al. (2006) utilisent une décomposition pour expliquer les déterminants des émissions de GES causées par le transport de marchandises au Canada. Cet article montre qu’en dépit d’une meilleure efficacité énergétique (technologique), les émissions de GES générées par le transport de marchandises augmentent sous l’effet de l’augmentation de la part modale du transport routier et d’une plus grande propension de transport international (avec les Etats-Unis).

Le projet européen REDEFINE (NEI, 1999) se distingue de ces recherches en écartant ce qui correspondant aux consommations d’énergie. Cette recherche décompose le lien entre le trafic routier de marchandises (exprimé en véhicules-kilomètres) et la croissance économique en sept ratios qui sont autant de facteurs couplage ou de découplage. Ces ratios sont les suivants : densité en valeur, partage modal, facteur de manutention, distance moyenne, charge utile des véhicules, facteur de chargement et parcours à vide. L’évolution de ces facteurs est observée en France, Allemagne, Pays-Bas, Royaume-Uni et Suède entre 1985 et 1995. Les enseignements de cette recherche ont été largement commentés en France (Girault, 2000 ; Girault et Leray, 2000 ; Leray et Poudevigne, 2000 ; Poudevigne, 2000a, 2000b ; Poudevigne et Rouchaud, 2000 ; Rouchaud, 2000 et Savin, 2000a, 2000b). Une augmentation de la distance de transport, de la capacité des véhicules et de la part modale du transport routier et une baisse des parcours à vide sont ainsi observés dans l’ensemble des pays d’études. En revanche, le facteur de manutention, le facteur de chargement ou la densité en valeur de la production n’évoluent pas de façon uniforme selon les pays.

McKinnon et Woodburn (1996) proposent une décomposition quasi-similaire pour analyser les changements logistiques au Royaume-Uni entre 1983 et 1991. Ces résultats statistiques sont confrontés aux prévisions des logisticiens lors d’une enquête auprès de quatre-vingt-huit entreprises industrielles britanniques.

Joignaux et Verny (2003) insistent sur le rôle de l’augmentation de la distance moyenne de transport en lui imputant la responsabilité du couplage. Ainsi observent-ils, à partir de données françaises, un découplage entre le volume de marchandises transportées (exprimé en tonnes) et la croissance économique et un couplage entre le transport (exprimé en tonnes-kilomètres) et la croissance économique. Ils expliquent alors le couplage comme la conséquence de l’augmentation de la distance moyenne de transport.

Kveiborg et Fosgerau (2004) décomposent la problématique du couplage en six facteurs. Ces facteurs sont la production totale, la production industrielle, le partage de la production par catégories de produit, la densité en valeur, le facteur de manutention et la distance moyenne de transport. L’évolution de ces facteurs est observée à partir de données temporelles danoises sur la période [1981-1997]. La production industrielle et le facteur de manutention apparaissent comme deux facteurs de découplage alors que tous les autres facteurs sont des facteurs de couplage. Cette analyse est reprise par Fosgerau et Kveiborg (2004) et Kveiborg et Fosgerau (2007).

Steer Davies Gleaves (2004) propose une décomposition de l’intensité de transport en quatre facteurs de couplage ou découplage. Ces facteurs sont la part modale de la route, la distance moyenne de transport, le facteur de chargement et la densité en valeur de la production économique. L’évolution de ces quatre facteurs est étudiée pour cinq pays de l’Union européenne (Allemagne, Espagne, France, Italie et Royaume-Uni). La distance de transport et la part modale du transport routier apparaissent comme étant les facteurs de couplage les plus évidents.

Enfin, McKinnon (2007) explique le découplage entre la demande de transport terrestre de marchandises et le PIB observé au Royaume-Uni entre 1996 et 2003 à partir d’une décomposition du couplage en cinq ratios. Il identifie onze à douze éléments pouvant expliquer ce phénomène. Son analyse montre que les éléments les plus significatifs pour expliquer le découplage outre Manche sont la diminution de la part modale du transport routier depuis 1997, l’augmentation de la part des transporteurs étrangers dans le transport routier au Royaume-Uni, les changements intervenus dans la structure du PIB britannique, la déconcentration spatiale de l’activité économique et la diminution de l’activité industrielle étrangère.

Au terme de cette revue des modèles décomposant la problématique du couplage, deux approches se distinguent. Un premier type de modèles introduit les émissions de polluants (e. g. de CO2) ou les quantités d’énergie consommées. Cette approche est directement influencée par l’économie de l’énergie. Elle apparaît comme l’application directe des modèles de décomposition de l’intensité énergétique au secteur des transports. Cette approche est originellement une approche nord-américaine comme le montrent les articles de Lee Shipper et al. (1997) de l’Université de Berkeley ou de Steenhof et al. (2006) au Canada.

L’autre approche développant une décomposition de la problématique du couplage n’introduit ni les consommations énergétiques, ni les émissions de GES. Cette approche se concentre sur le rapport entre la demande de transport de marchandises et le PIB. Elle se réfère à une définition stricte de la problématique du couplage, entendue comme l’étude de la relation entre la demande de transport et le PIB. Cette recherche est essentiellement européenne et prolonge le programme de recherche REDEFINE.

Au terme de cette section, il apparaît que la littérature consacrée à la problématique du couplage s’engage dans deux directions. Une première approche entend observer le couplage à partir d’indicateurs agrégés comme l’élasticité de la demande de transport par rapport au PIB ou l’intensité de transport de marchandises. Cette approche est dite agrégée car elle utilise la demande agrégée de transport de marchandises (i.e. tonnes-kilomètres). La seconde approche récuse cette relation en expliquant qu’il convient de relâcher l’hypothèse ceteris paribus implicitement postulée par la première approche. La relation entre la demande de transport de marchandises et le PIB est décomposée en différentes relations qui sont autant de facteurs de couplage ou découplage. La section qui suit poursuit cette analyse en développant un modèle décomposant l’intensité de transport routier en quatre facteurs de couplage.