Chapitre 3. Le modèle à élasticité variable

L’estimation économétrique de la relation entre la demande de transport de marchandises et l’activité industrielle ou économique s’oriente dans un premier temps vers l’estimation d’une fonction de demande à élasticité variable. Comme il l’a été montré plus haut (pp. 30 et s.), les chercheurs estiment en effet que la relation entre la demande de transport de marchandises et la production économique ou industrielle est une relation à élasticité variable. La décomposition de cette relation en facteurs de couplage ou découplage (Chapitre 2) offre une première justification au caractère variable de cette relation.

Gabella-Latreille (1997) souligne également l’influence des stocks pour justifier l’hypothèse d’une élasticité variable. Les stocks jouent en effet le rôle de variable d’ajustement entre la production économique et la consommation et entraînent un délai dans l’ajustement entre la production économique et la consommation. Un ralentissement économique entraîne une augmentation des stocks puisque la production, rigide à court terme, ne s’ajuste pas immédiatement à la baisse de la croissance économique. A l’inverse, une reprise économique s’accompagne d’une réduction des stocks. La demande de transport a alors tendance à amplifier à la hausse comme à la baisse les cycles économiques. Lahiri et Yao (2004) offrent une illustration empirique de l’ajustement retardé entre la demande de transport et les cycles économiques.

Matas et Raymond (2003) illustrent ce phénomène en utilisant la méthode du filtre de Hodrick-Prescott. Le filtre de Hodrick-Prescott permet de lisser une série temporelle afin d’en représenter la tendance. La composante cyclique du filtre Hodrick-Prescott est alors définie comme étant la différence entre la valeur observée de la série et sa valeur lissée (ou tendancielle). La Figure 9b reproduit la valeur des cycles observés pour le PIB espagnol et le trafic sur un ensemble de sections autoroutières payantes en Espagne. Cette figure montre que le cycle de la demande de transport amplifie les évolutions du cycle du PIB. Elle corrobore donc l’idée selon laquelle la demande de transport de marchandises sur-réagit aux évolutions des cycles économiques.

Il est possible d’illustrer ce phénomène en utilisant des données françaises 12 (INSEE, 2006) en représentant les cycles de la demande de transport terrestre de marchandises et du PIB en France (Figure 9b). Cette figure montre que les cycles de la demande de transport de marchandises amplifient les évolutions du cycle du PIB. Ce phénomène est particulièrement net jusqu’au début des années 1990 puis tend à se réduire.

Figure 9. Représentation des cycles de Hodrick-Prescott pour le PIB et la demande de transport

Sources : Matas et Raymond (2003) pour la figure de gauche et, pour la figure de droite, INSEE (2006), calculs de l’auteur.

Ce phénomène incite donc à privilégier l’hypothèse d’une sensibilité variable de la demande de transport de marchandises par rapport au PIB et explique la préférence des chercheurs pour les modèles à élasticité variable. Dans l’esprit des chercheurs, une reprise de la croissance du PIB a un effet plus que proportionnel sur la croissance de la demande de transport. Autrement dit, l’élasticité-PIB de la demande de transport est alors supposée augmenter avec la croissance du PIB.

Le présent chapitre propose d’estimer un modèle à élasticité variable pour expliquer l’évolution de la demande de transport de marchandises à travers les Alpes. Un modèle en taux de croissance s’inspirant des modèles quin-quin fret réalisés au laboratoire d’économie des transports est estimé dans une première section. Les résultats de ces estimations sont surprenants car ils contredisent l’hypothèse d’une élasticité augmentant avec le taux de croissance du PIB. La seconde section revient alors sur la contradiction entre les élasticités estimées et les élasticités attendues.

Notes
12.

Dans la figure qui suit, la demande trimestrielle de transport de marchandises retenue correspond à la demande de transport terrestre intérieur de marchandises (en tonnes-kilomètres) lissée par la méthode de la moyenne mobile sur quatre trimestres afin d’en corriger les variations saisonnières. La production économique est le PIB trimestriel corrigé des variations saisonnières et des jours ouvrés, estimé par l’INSEE. Les cycles de ces variables sont définis comme étant la différence entre la valeur observée de la série et sa valeur lissée par le méthode du filtre de Hodrick-Prescott.