II.2. L’estimation du modèle à correction d’erreur et son interprétation

La procédure en deux étapes d’Engle et Granger est suivie pour estimer la relation entre la demande de transport de marchandises à travers les Alpes et l’activité industrielle italienne.

Dans un premier temps, le modèle d’équilibre de long terme est estimé. Ce modèle correspond à l’équation double-logarithmique (4.17). La relation de long terme est estimée pour l’ensemble de l’échantillon pour la variable f t . Pour les variables p t et n t , l’estimation du modèle est restreinte à la période [1984-2001]. Les résultats de cette estimation figurent dans le tableau qui suit. Sur ce dernier, il apparaît que les relations de long terme sont statistiquement significatives. Ces estimations présentent des coefficients de corrélation supérieurs à 90%. La valeur des coefficients estimés est par ailleurs toujours significative au seuil de 1% selon les valeurs des t de Student.

Tableau 50. L’estimation du modèle de long terme

La valeur des coefficients estimés associés à la variable i t s’interprète comme la valeur de l’élasticité de long terme de la demande de transport de marchandises par rapport à la valeur ajoutée industrielle italienne. Ces estimations montrent que la valeur estimée des élasticités de long terme de la demande de type p t se distinguent nettement de la valeur des élasticités des demandes de type f t et n t . En revanche, les élasticités de la demande de transport d’échange bilatéral et de transit nord-européen ne sont pas significativement différentes l’une de l’autre.

La seconde étape de la méthode d’Engle et Granger consiste ensuite à estimer un modèle à correction d’erreur défini par l’équation :

Tableau 51. Estimation du modèle à correction d’erreur
Tableau 51. Estimation du modèle à correction d’erreur

Le Tableau 52 reproduit la valeur des élasticités de court et de long terme estimées. Il ressort d’abord de ce tableau que les élasticités de long terme sont significativement plus élevées que les élasticités de court terme. Ce constat est consistant avec ce qui est généralement observé dans la littérature (voir Tableau 1, p.38).

Tableau 52. Elasticités par rapport à l’activité industrielle italienne

Ensuite, les présentes estimations se caractérisent par des valeurs relativement proches des élasticités les plus élevées estimées dans la littérature appliquant les techniques de co-intégration (voir Tableau 1, p.38). Il est également intéressant de comparer les présentes estimations aux valeurs estimées par les principaux modèles de prévision de la demande de transport à travers les Alpes (Tableau 53).

Tableau 53. Elasticités retenues par les modèles de prévision nord-alpins

Cette comparaison révèle que les élasticités estimées dans les précédentes études alpines sont nettement supérieures aux présentes estimations. Il convient alors de rappeler que la plupart de ces modèles estiment généralement une équation double-logarithmique en utilisant les techniques économétriques standards. Ces estimations présentent le risque important d’être des régressions fallacieuses en raison de l’autocorrélation temporelle des erreurs et de la non-stationnarité des séries temporelles. Le tableau qui suit montre qu’outre leur caractère biaisé d’un point de vue économétrique, ces estimations présentent le risque de surestimer la valeur de l’élasticité de la demande de transport de marchandise par rapport à l’activité économique ou industrielle et, par conséquent, la demande de transport prévue. L’utilisation de techniques économétriques impropres pour estimer la relation transport/économie pourrait alors contribuer à expliquer la surestimation des trafics prévus par rapport aux trafics observés qu’une série d’articles a récemment constatée pour les grandes infrastructures de transport (Flyvbjerg, 2005 ; Flyvjberg et al., 2005 ; Skarmis et Flyvjberg, 1997).

Le Tableau 52 révèle enfin que la valeur des élasticités estimées varie sensiblement selon les types de demande de transport de marchandises à travers les Alpes. Les élasticités estimées pour la demande de transit au passage de Vintimille sont ainsi près de trois fois plus importantes que les élasticités estimées pour la demande d’échange entre la France et l’Italie ou la demande de transit nord-européen. Cette observation est vérifiée tant pour les élasticités de court terme que pour celles de long terme.

Deux éléments peuvent être avancés pour expliquer la différence observée entre ces types de demande de transport transalpin. En premier lieu, l’adhésion des pays de la péninsule ibérique à la CEE en 1986 a entraîné une brusque diminution des entraves au commerce international (barrières douanières) et, de ce fait, une rapide augmentation des échanges bilatéraux entre ces pays et l’Italie. La valeur élevée des élasticités estimées pour le transit littoral est alors la conséquence d’un effet qualifié d’effet frontière. En second lieu, le processus de convergence dans lequel se trouvent les pays de la péninsule ibérique par rapport aux autres pays européens entraîne, toutes choses égales par ailleurs, une augmentation de la part de ces pays dans les échanges à l’intérieur l’Union. Ce phénomène entraîne alors une augmentation rapide des échanges entre l’Italie et l’Espagne ou le Portugal. La valeur explosive des élasticités estimées correspond alors un effet qualifié d’effet convergence.

Cette interprétation rejoint, partiellement, des éléments mis avant par Château et Morcheoine (2001). Ceux-ci estiment qu’il existe un schéma général d’évolution des relations bilatérales à long terme :

‘Examinée sur une période de temps suffisamment longue, et sur un éventail suffisamment large de relations bilatérales en Europe, [l’évolution des relations commerciales et des échanges physiques entre deux pays] montre quatre phases principales : une quasi-stagnation à un niveau faible, lorsque les pays échangent peu, puis une accélération sur plusieurs années lorsque les relations commerciales amorcent leur développement, suivie d’une décélération progressive quand ces relations deviennent matures, enfin revenir à une quasi stabilité à un niveau élevé lorsque les deux pays connaissent des conditions économiques voisines (Château et Morcheoine, 2001, p.121).’

La valeur des élasticités de la demande par rapport à l’activité économique dessine alors, selon cette interprétation, une courbe en cloche (Figure 22).

Figure 22. Evolution des élasticités dans le temps

En terme de prospective, cette interprétation amène à s’interroger sur la phase dans laquelle la demande de transport considérée se situe. Pour le transport de marchandises à travers les Alpes, la demande de transport de marchandises de transit littoral se trouve probablement dans les phases 2 ou 3, c’est-à-dire dans une phase de développement des échanges ou de maturation, expliquant la valeur explosive de ces élasticités. A l’inverse, il est probable que les élasticités des autres types de demande de transport transalpin soient situées dans une phase plus tardive, de maturation (3) ou de stabilité (4).

Château et Morcheoine (2001) estiment que la demande de transport de marchandises à travers le segment central du massif alpin se situe dans une phase de maturation (3) :

‘Pour la région alpine, il est clair que l’évolution du trafic transalpin de marchandises est très fortement liée à l’évolution des relations bilatérales de l’Italie avec les autres pays européens : il semble donc que les fortes croissances de ces trafics observées dans les deux décennies passées soient à mettre au compte de la montée en puissance de ces relations […] (Château et Morcheoine, 2001, p.121).’

Et d’estimer que la valeur des élasticités devrait progressivement décroître :

‘La conséquence devrait en être une décroissance progressive de l’élasticité de ces trafics à la croissance économique, en contradiction avec l’hypothèse méthodologique sous-jacente aux projections d’une élasticité constante […] (Château et Morcheoine, 2001, p.121).’

La sous-section qui suit revient précisément sur l’hypothèse de décroissance progressive des élasticités de la demande de transport par rapport à l’activité industrielle italienne. Il s’agit alors d’étudier l’hypothèse de stabilité des relations à correction d’erreur estimées.