Conclusion de la seconde partie

Dans cette partie, la relation entre la demande de transport de marchandises à travers les Alpes et l’activité industrielle italienne est estimée en utilisant deux spécifications économétriques alternatives, à savoir le modèle en taux de croissance et la modélisation à correction d’erreur. Les deux chapitres qui précèdent montrent que, d’après ces modèles, il existe une relation statistiquement significative entre la demande de transport de marchandises à travers les Alpes et l’activité industrielle italienne. Il ressort de ces estimations que ces modèles sont, l’un comme l’autre, pertinents pour estimer la relation entre la demande de transport et l’activité industrielle.

Les résultats de ces estimations sont interprétés en termes d’élasticité de la demande de transport par rapport à la VAI italienne. Le Tableau 77 reproduit la valeur des élasticités estimées par les deux modèles utilisés.

Tableau 77. Les élasticités de la demande agrégée de transport par rapport à la VAI italienne

Ce tableau montre qu’il existe une certaine proximité entre les résultats du modèle à correction d’erreur (noté E) et ceux du modèle en taux de croissance (noté Q, pour quin-quin fret). La proximité des résultats concerne plus particulièrement les relations estimées à partir de la donne Alpinfo pour la demande de transport de transit nord-européen (n) ou la demande d’échange bilatéral franco-italien (f). En revanche, pour la demande de transit littoral, les élasticités estimées varient sensiblement selon les modèles. Cela n’est guère surprenant compte tenu de la spécificité de ces flux pour lesquels la relation transport/activité industrielle s’est avérée particulièrement instable.

Pour la donne Eurostat agrégée, les élasticités estimées varient légèrement selon les modèles pour tous les types de demande de transport de marchandises. Ces estimations doivent néanmoins être interprétées avec prudence compte tenu de la faible qualité de la donne Eurostat. En outre, il est notable d’observer que les élasticités estimées à partir du modèle à correction d’erreur ou du modèle en taux de croissance de moyen terme sont significativement inférieures à la plupart des élasticités estimées par les modèles de prévision de la demande de transport à travers les Alpes présentés dans l’introduction de cette partie (Tableau 8, p.83). Les modèles de prévision de la demande de transport à travers les Alpes utilisent en effet généralement une spécification double-logarithmique pour estimer ces élasticités. Ce modèle est fortement biaisé et entraîne une surévaluation de la sensibilité de la demande de transport de marchandises par rapport à l’activité industrielle italienne. L’utilisation des élasticités double-logarithmiques pour prévoir la demande pourrait alors conduire à une surestimation de la demande de transport de marchandises.

L’estimation du modèle à correction d’erreur comme celle du modèle linéaire en taux de croissance mettent également en évidence deux éléments supplémentaires qu’il convient de souligner. Ces éléments concernent la non-significativité de certaines élasticités de la demande de transport estimées au niveau désagrégé et la stabilité des relations estimées.

La relation entre la demande de transport désagrégée par catégories de marchandises et l’activité industrielle italienne n’est en effet statistiquement significative que pour quelques catégories de marchandises (Tableau 78). Cette observation ne remet toutefois pas en cause la significativité des estimations. Il est en effet possible d’observer ce phénomène dans d’autres contextes. Gabella-Latreille (1997) observe ainsi que la relation entre le taux de croissance de moyen terme de la demande de transport national en France et celui de l’indice de production industrielle n’est pas significative pour les catégories NST2, NST4 et NST6. Ce constat signifie que la demande de transport de certains types de marchandises n’est pas corrélée à l’activité industrielle italienne. Dans les présentes estimations, cette observation concerne plus particulièrement des catégories de biens liées au secteur agricole (NST0, NST1, NST7) et les industries en déclin (NST2, NST4).

Tableau 78. Les élasticités par catégories de produits

Ces estimations soulèvent également des interrogations concernant la stabilité des relations estimées. En premier lieu, il convient d’observer le comportement des relations estimées dans les périodes de recul de la conjoncture industrielle. L’estimation de la relation affine entre les taux de croissance de la demande de transport et de l’activité industrielle italienne met ainsi en évidence une constante positive alors qu’une valeur négative est a priori attendue pour le terme constant. Cela signifie que la demande de transport de marchandises augmente même en situation de recul de l’activité industrielle. Ce phénomène explique pourquoi la demande de transit littoral ou la demande de transit nord-européen d’une part et l’activité industrielle italienne n’apparaissent pas comme des séries co-intégrées en prenant l’échantillon complet. Pour ces séries temporelles, la relation de co-intégration ne s’observe qu’après avoir retiré de l’échantillon la période [2002-2005] correspondant à une longue période de recul de l’activité industrielle italienne. Ce phénomène est interprété en observant la décorrélation entre l’évolution des échanges extérieurs italiens et l’activité industrielle italienne. Les échanges extérieurs italiens augmentent ainsi même en période de repli de la conjoncture industrielle. Il est alors logique d’observer que les flux de transport de marchandises à travers les Alpes qui sont la matérialisation des échanges extérieurs italiens avec quelques uns de ces principaux partenaires augmentent également en période de repli de l’activité industrielle italienne.

La seconde interrogation concernant la stabilité des relations estimées est relative à la valeur explosive de l’élasticité de la demande de transit littoral. Ces valeurs explosives cachent en fait une forte décroissance de cette élasticité comme le montre le test des estimations récursives. En revanche, il n’est pas possible d’observer un phénomène de ce type pour les autres types de transport transalpin pour lesquels il n’existe aucune évidence empirique de décroissance de la sensibilité de la demande de transport de marchandises par rapport à la production industrielle italienne.

Ces observations rejoignent des conclusions formulées plut tôt dans un travail du laboratoire d’économie des transports (LET, 1997b) appliquant le modèle quin-quin fret à la demande de transport entre l’Italie et le reste de l’Europe. Les auteurs de ce rapport soulignent ainsi :

‘[…] Nous avons orienté les recherches économétriques vers des fonctions à élasticités variables. Il nous donc faut préciser que les élasticités du transport international à la croissance industrielle sont élevées parce que la pente de la droite et l’ordonnée à l’origine sont significativement supérieures à zéro.
L’utilisation de ces élasticités pour construire les scénarios d’évolution des échanges de fret conduit à des résultats explosifs, non conformes à ce qui se serait supposé se produire si l’on considérait une période temporelle plus longue (par exemple depuis le début de la décennie 1970). Ainsi les échanges entre l’Italie et l’Espagne qui explosent littéralement au détriment des pays tels que la France ou l’Allemagne qui sont pourtant aujourd’hui des partenaires privilégiés de l’Italie.
On ne peut raisonnablement projeter les échanges des pays européens à partir des relations explicatives (et donc des élasticités) construites sur la période 1984-1992. Dans le cas contraire, on ferait l’hypothèse sous-jacente que l’impact à long terme de la modification de la donne commerciale européenne se prolongerait avec la même intensité à un horizon de long terme (LET, 1997b, p.21).’

Au terme de cette partie, les deux modèles économétriques estimés semblent pertinents pour prévoir la demande de transport de marchandises même si chacun des modèles estimés présente des limites. Les résultats de ces modèles sont d’ailleurs relativement proches. Dans ce qui suit, un exercice de prévision poursuit ces investigations en appliquant les résultats de ces estimations.