La demande de transit à travers les Alpes augmente donc à un rythme relativement linéaire. Dans ce contexte d’augmentation globale des volumes transport de marchandises à travers les Alpes, les volumes de transport observés à travers le Nord des Alpes françaises (i. e. dans les tunnels routiers du Fréjus et du Mont-Blanc et le tunnel ferroviaire de Modane) sont stables depuis 1994. Il convient en premier lieu d’observer que cette stabilité correspond à une stabilité de la demande de transport routier de marchandises (Figure A15, à gauche). Il convient d’autre part d’observer que cette stabilité est indépendante des événements ayant pu intervenir ces dernières années dans le Nord des Alpes françaises. En particulier, la fermeture du tunnel du Mont-Blanc après l’accident de mars 1999 n’a pas d’effet sur l’évolution de la demande globale de transport routier de marchandises à travers le Nord des Alpes françaises (Figure A15, à droite) puisque la quasi-totalité des trafics du tunnel du Mont-Blanc semblent se reporter vers celui du Fréjus. Différentes enquêtes (CNT, 2000 ; Houée, 2001) corroborent ailleurs cette thèse.
Source : Alpinfo (2006)
La ventilation de la demande de transport entre le transit et l’échange montre que la stabilité observée depuis 1994 s’explique par la chute du transit à travers la France depuis 1994 (Figure A16, à gauche). La demande de transport d’échange bilatéral franco-italien suit, à l’inverse, une croissance relativement régulière et linéaire (Figure A16, à droite).
Source : Alpinfo (2006)
La stabilité de la demande de transport de marchandises à travers le Nord des Alpes françaises est expliquée par la chute du transit à travers la France : les volumes de transport en transit à travers le Nord des Alpes françaises passant de 14,2 millions de tonnes en 1994 à 6,9 en 2004 (Alpinfo, 2006), soit une chute de plus de sept millions de tonnes. En postulant une croissance linéaire de la demande de transport de marchandises, la demande de transport de marchandises en transit à travers la France aurait été d’environ vingt millions de tonnes en 2004. Par rapport à cette situation théorique de croissance linéaire du transit à travers la France, la rupture de la croissance du transit routier en 1994 a donc entraîné un déficit d’environ treize millions de tonnes.
En dépit d’un grand nombre de travaux réalisés sur la demande de transport de marchandises à travers les Alpes françaises, rares sont les analyses mentionnant la stabilité observée depuis 1994. Aucune analyse ex-ante n’avait par exemple prévu ce phénomène (Figure A17). Les modèles de prévision de la demande de transport de marchandises prévoyaient une poursuite de la croissance de la demande globale de transport de marchandises à travers le Nord des Alpes françaises.
Parmi les analyses ex post, l’article de Lionel Clément (2004) est le principal travail qui évoque cette question. Celui-ci observe que « la question qui se pose au regard des chiffres précédents est donc de chercher à connaître les facteurs qui ont conduit à cette stabilité des trafics ». Des facteurs explicatifs sont évoqués « mais devraient être approfondis ». Clément envisage cinq explications possibles 28 dont deux paraissent particulièrement pertinentes : le rôle d’absorption naturelle joué par la Suisse et la conjoncture macroéconomique italienne.
Sources : LET (1997b), FS et SNCF (1993), CATRAM et al. (1996).
Il existe en premier lieu un déficit de génération d’origine macroéconomique dû au faibles taux de la croissance de la production industrielle durant la période [1994-2004]. Le taux de croissance moyen de la production industrielle est ainsi de 2,2% pour la période [1984-1993] contre un taux de 1,1% pour la période [1994-2004].
Source : ISTAT (2006)
Dans une situation théorique de croissance linaire de la demande de transit à travers la France, la demande de transport en transit à travers les Alpes serait passée de quatorze millions de tonnes en 1994 à vingt millions de tonnes en 2004, soit une croissance de six millions de tonnes. La croissance de la production industrielle étant en moyenne deux fois moindre durant la période [1994-2004] que durant la période [1984-1993], il est alors possible d’estimer que le déficit de génération d’origine macroéconomique est responsable d’un déficit de croissance d’environ trois millions de tonnes sur les treize millions de tonnes de déficit estimées plus haut.
Il subsiste donc un déficit inexpliqué de dix millions de tonnes. Dans ce qui suit, il est montré que le solde inexpliqué du déficit de croissance observé pour le transit en France est expliqué par les nouvelles affectations du transit nord-européen à travers les Alpes suivant les modifications des politiques nationales de transport en Suisse ou en Autriche.
Les autres explications envisagées sont l’ouverture du tunnel sous la Manche, l’accident du tunnel du Mont-Blanc et le passage des poids lourds à vides par la Suisse. La première explication peut expliquer la stabilité de la demande de transport routier de marchandises en transit à travers les Alpes françaises, mais ne permet pas d’expliquer la stabilité de la demande de transport terrestre en transit à travers la France (, gauche). La seconde explication joue un rôle minime car la demande de transport à travers le tunnel du Mont-Blanc s’est reportée presque entièrement sur le tunnel de Fréjus (, droite). Enfin, les changements d’itinéraire des poids lourds vides peuvent expliquer des évolutions concernant les trafics (en véhicules) mais non des évolutions concernant des tonnages.