L’adhésion de l’Autriche à l’UE

Le passage du Brenner est le principal passage de transit à travers les Alpes. L’analyse graphique des évolutions de la demande de transport de marchandises en transit au col du Brenner met en évidence une rupture de tendance significative en 1994 pour le transit routier (Figure A19, à gauche). Cette rupture se produit sans diminution des volumes de transit ferroviaire (Figure A19, à droite).

Cette rupture se produit alors que l’évolution de la politique de transport autrichienne traduit l’assouplissement d’une réglementation traditionnellement contraignante. Dès le début des années 1980, le gouvernement autrichien mit en place un système de péages pour limiter le transport de transit à travers les vallées tyroliennes. La contradiction entre le principe européen de libre circulation des biens et la pratique de péage en Autriche explique le changement d’orientation de la politique de transport autrichienne prise au début des années 1990 (Sutto, 2004). Un accord sur le transit signé en 1992 par l’Autriche et l’UE définit les nouvelles orientations de la politique de transport autrichienne. L’adhésion de l’Autriche à l’Union en 1995 confirme cette politique qui se caractérise par deux volets (Giorgi et Schmidt, 2005).

Figure A19. Flux de transit routier (G.) et ferroviaire (D.) au passage du Brenner (Autriche) (volume en millions de tonnes, 1984-2004)

Source : Alpinfo (2006)

En premier lieu, la politique autrichienne de transport veut développer le transport ferroviaire de marchandises en réalisant de nouvelles infrastructures de transport. Le percement d’un nouveau tunnel ferroviaire au Brenner est envisagé. La réalisation de ce tunnel n’a toutefois toujours pas été amorcée en raison de l’absence des fonds nécessaires. Le second volet de la politique autrichienne est la mise en place du système des écopoints (Ökopunkte). Ce système est une forme de distribution de permis de droit à polluer non échangeables (Raux, 2004) appliquée au transport routier de marchandises. Il s’agit donc d’un système de contingentement des pollutions et, plus particulièrement, des émissions de NOx.

Selon Raux (2004) ou Giorgi et Schmidt (2005), ce système s’est accompagné d’une forte diminution des émissions de polluants causés par le secteur des transports de marchandises grâce au renouvellement de la flotte de poids lourds. Aucune étude ne met cependant en évidence le rôle des écopoints sur ces évolutions. La Figure A19 montre d’ailleurs que cette politique n’a pas empêché une forte croissance du transit routier. Au final, il apparaît que l’adhésion de l’Autriche à l’Union a réduit les contraintes subies par les transporteurs routiers, se traduisant par exemple par une simplification des formalités douanières (un gain de temps). La sur-croissance de la demande de transit de marchandises observée au col du Brenner coïncide alors avec l’assouplissement de la politique autrichienne de transport.

Deux arguments sont avancés pour montrer qu’il existe une substituabilité possible entre les traversées françaises et le passage du Brenner pour le transit nord-européen. En premier lieu, les caractéristiques de ces deux alternatives montrent qu’en dépit de leur éloignement apparent, ces itinéraires peuvent se concurrencer pour certaines origines/destinations (O/D). En second lieu, des enquêtes corroborent l’hypothèse de reports entre les traversées françaises et le passage du Brenner.

Il apparaît en premier lieu que les caractéristiques des itinéraires alternatifs sont proches pour certaines O/D de transit nord-européen. Par exemple, pour l’O/D Rotterdam-Milan, la différence entre les itinéraires via le tunnel de Fréjus et le passage de Brenner est d’environ une demi-heure et représente trente-cinq kilomètres. Ces différences sont minimes par rapport à la distance ou au temps de transport total si bien que des modifications réglementaires ou tarifaires peuvent modifier les choix d’itinéraires.

Figure A20. Caractéristiques des itinéraires
Figure A20. Caractéristiques des itinéraires via le Fréjus (Fr.) ou le Brenner (Br.)

Source : www.mappy.com

En second lieu, des enquêtes de trafics viennent corroborer l’hypothèse d’un report du transit à travers la France vers le passage du Brenner. Ces enquêtes montrent que l’explosion du transit pour certaines O/D au Brenner se déroule simultanément à une chute des volumes du transit impliquant ces mêmes O/D à travers les Alpes françaises.

Une enquête autrichienne (BMVIT, 2001) reconstituant l’origine et la destination des flux de transport à travers les Alpes autrichiennes montre l’évolution des principales O/D au passage du Brenner entre 1994 et 1999. Cette enquête pointe l’explosion de certaines O/D (Figure A21a) comme une croissance de 204% des trafics entre l’Italie et les pays du Bénélux, soit une croissance d’environ deux millions de tonnes de marchandises. De même, les trafics entre les pays scandinaves et l’Italie d’une part et l’Allemagne et l’Italie d’autre part augmentent respectivement de 99% et 25%, soit des croissances respectives d’un et quatre millions de tonnes.

Une enquête similaire a été réalisée en France (CETE Méditerranée, 2000). Selon cette enquête, les volumes de transport belges et hollandais en transit à travers le Nord des Alpes françaises ont diminué de 23% entre 1994 et 1999 (Figure A19b). De même, les volumes de transit impliquant l’Allemagne ont baissé de 57%. Au final, la diminution des volumes de transport en transit à travers la France correspond à une perte brute de près de deux millions et demi de tonnes. Il convient également de remarquer la croissance des trafics entre l’Italie et les pays du centre et de l’Est de l’Europe via le Brenner puisque ces flux augmentent de 281% entre 1994 et 1999. Ces flux correspondent néanmoins à des volumes de transport encore limités (un million de tonnes en 1999).

Figure A21. Evolutions des principales OD selon les itinéraires (nombre de véhicules indicés 100 pour 1994)

Sources : BMVIT (2001), CETE Méditerranée (2000)

Il ressort donc de cette partie que l’adhésion de l’Autriche à l’UE a entraîné une sur-croissance de la demande de transport de marchandises au Brenner. Cette sur-croissance se manifeste par l’explosion des volumes de transport impliquant les pays du Bénélux ou les pays scandinaves et la croissance soutenue des volumes de transport impliquant l’Allemagne. Les volumes de transport impliquant ces OD ont, dans le même temps, diminué pour la demande de transport en transit à travers les Alpes françaises.

Il est possible d’estimer que la croissance de la demande de transport de marchandises au Brenner impliquant les pays du Bénélux et l’Allemagne a entraîné une sur-croissance de la demande de transport de marchandises de trois à quatre millions de tonnes entre 1994 et 1999 au détriment du transit à travers les passages français. Sur la base de la Figure A21, il est postulé que la croissance des trafics impliquant l’Allemagne, les pays du Bénélux ou les pays scandinaves se poursuit au même rythme durant les années [1999-2004]. En suivant cette hypothèse, il apparaît que l’adhésion de l’Autriche à l’UE a entraîné le report d’environ sept millions de tonnes de transit à travers le Nord des Alpes françaises en direction du Brenner.